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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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l’huile.
    Nous étions venus parce que nous avions faim et maintenant
mon père se baissait, riait trop fort « merci oncle, merci », s’éloignait
vers les plants de tomates et de haricots et je ne voyais plus que son dos, je
l’entendais quand il criait « che toumati ».
    Charles Merani souriait avec condescendance.
    — C’est le Revelli communiste ? Votre neveu, n’est-ce
pas beau-père ?
    Carlo haussait les épaules, s’asseyait sur un banc sous les
oliviers.
    — Laissez les Revelli, continuez votre histoire, je l’ai
bien connu Ritzen, avant.
    — Politiquement, reprenait Merani, depuis le vote des
pleins pouvoirs au Maréchal, Ritzen était un homme mort. Il a voté contre.
    Carlo plaçait sa canne entre ses jambes, je suivais le
mouvement de ses doigts qui jouaient avec elle, la faisaient tourner.
    — Et parce qu’il était mort politiquement, vous l’avez…
    — Il s’est tué lui-même tout simplement, beau-père,
interrompait Merani. Suicidé. Il n’a pas su accepter la nouvelle situation, la
défaite, Pétain. Bref il n’a rien compris, ni la révolution nationale ni la
collaboration. L’ennemi, pour lui, c’était toujours l’Allemagne. Au fond il
était resté un petit policier borné.
    — On l’a enterré ? demanda Carlo.
    — À Antibes. Il n’y avait que Jules, le médecin. L’autre
fils, le colonel, est passé en Angleterre. Ritzen avait le sens de la
discipline et ça non plus, la désertion de son fils aîné, il ne l’a pas
accepté, croyez-moi.
    Merani me faisait face.
    Plus tard j’ai rêvé de ce visage rond, à la peau bistre, aux
cheveux noirs plaqués, aux mains de Merani, à cette chevalière d’or où je
lisais entrelacées ses initiales puisqu’il avait ses doigts sur la table, près
de moi.
    — Croyez-moi, disait-il, je vais m’employer à ce qu’on
n’oublie pas le colonel Ritzen. Son frère partage mon sentiment. Douze balles
dans la peau, c’est un officier félon.
    — Il faudrait le prendre d’abord, dit Carlo.
    — Vous ne croyez pas à la victoire allemande, beau-père ?
    Carlo Revelli se leva, s’avança dans le jardin, cria :
    — Oh ! Dante, tu m’en laisses un peu quand même !
    Mon père revenait le cageot à bout de bras, à demi rempli de
tomates et de courgettes. Il le tendait vers Carlo Revelli.
    — Va, oncle, j’ai…
    Je m’éloignais. Nous étions des mendiants. Les autres possédaient,
nous, nous nous excusions, on nous donnait. Je me souviens de ce sourire qui
figeait mes joues comme un masque. Derrière, je grimaçais de honte et de rage.
Il y avait ce témoin méprisant, Charles Merani qui ne nous saluait pas,
marchait dans le jardin, paraissant ne pas nous voir. Anna et sa fille Mafalda
nous raccompagnaient. Elles plaçaient au-dessus des légumes une bouteille
d’huile, parfois un pain rond de la campagne, un fromage de chèvre ; mon
père refusait d’abord mais elles insistaient, cachant la bouteille avec
quelques feuilles de figuier.
    — On a ce qu’il faut ici, Dante. Ils doivent manger,
vos enfants.
     
    Nous roulions vite vers la ville. Je tenais à deux mains le
cageot placé sur un porte-bagages en avant du guidon. Quand nous avions atteint
le bas de la colline de Gairaut, mon père s’arrêtait. Nous prenions chacun une
tomate, il me donnait un quignon de pain, y versait quelques gouttes d’huile.
    — Mange, elle est bonne, tu verras, disait-il.
    La tomate était douce, pulpeuse, l’huile presque amère à
force de saveur, le pain craquait et fondait dans la bouche. Mon père mordait
dans la tomate, se contentant de la goutte d’huile qui avait coulé le long de
la bouteille et qu’il recueillait avec le doigt.
    — Il est bon ce pain ? me demandait-il.
    Il faisait tourner la boule croustillante entre ses mains,
la sentait, puis la replaçait avec la bouteille sous les feuilles râpeuses de
figuier.
    — Maman et Christiane, disait-il, elles vont se
régaler.
    Je criais quand nous rentrions :
    — Maman, on a de l’huile !
    C’est moi qui apportais. Je vidais le cageot sur la table,
je prenais une tomate dans chaque main, je les montrais à ma mère, je lui tendais
la bouteille d’huile, une traînée de minuscules bulles blanches traçait sa voie
dans l’onctueuse épaisseur verdâtre.
    — Tu crois que je n’ai jamais vu d’huile ?
    Ma mère saisissait la bouteille, la rangeait dans le buffet,
ajoutait :
    — Il n’y en a pas plus d’un

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