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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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tu sais.
    Violette traversait l’atelier, tirait les rideaux, la brume
en bancs légers masquait peu à peu le relief et Saint-Paul paraissait dominer
une plaine cotonneuse.
    — Bon, dit Sam, on se battra.
    Il me donna un coup de poing dans l’épaule.
    — On se battra, n’est-ce pas Roland ?
     
    Encore quelques jours et nous allions regagner Nice, l’Hôtel
Impérial fermé, le Palais de la Jetée silencieux, navire désarmé dont je
faisais le tour, chassant les mouettes qui revenaient se poser sur la
balustrade de la Promenade avec des cris stridents. Je tendais la main vers
elles. Elles s’élevaient, planant au-dessus des vagues, des plages désertées et
je rentrais, traversant les salons de l’hôtel, m’aventurant dans les étages,
sautant à pieds joints les raies blondes du soleil que laminaient les volets
clos.
    L’armistice avait, comme un été torride, assoupi la ville et
j’aimais ce calme où l’on entendait, de la cour de l’hôtel, la vague déferler
sur les galets, le trot d’un cheval de fiacre sur la Promenade, ou le battement
du marteau de mon père qui travaillait dans l’atelier.
    Les Baudis semblaient avoir quitté la ville, les fauteuils
face à la mer étaient vides. Ma mère rentrait tôt. « Il n’y a plus personne »,
disait-elle.
    Parfois nous quittions la Promenade pour le centre de la
ville. Des drapeaux cravatés de crêpe aux fenêtres, la lettre de Monseigneur
Rémond affichée sur le portail des églises :
    Vous avez entendu la voix du maréchal Pétain, cela
suffit. Il n’y a qu’à obéir. Les mots d’ordre à l’heure actuelle sont :
Silence, Discipline, Calme, Confiance. N’écoutons pas la voix du dehors. Nous
avons un chef que nous vénérons, groupons-nous autour de lui.
    — Cette voix du dehors dont parlait Monseigneur Rémond,
disait Alexandre Revelli…
    Dans le salon aux colonnes de l’hôtel, j’étais debout près
de mon père. Carlo Revelli et Alexandre s’asseyaient côte à côte. Gustav Hollenstein,
le porte-cigarettes au coin de la bouche, s’était appuyé au piano.
    — Vous avez compris, continuait Alexandre, cette voix
du dehors, c’est le secrétaire d’État à la Guerre, celui qui est passé en
Angleterre. Le colonel Ritzen, quand nous nous sommes repliés après
l’armistice, m’a parlé de lui, un bon général, paraît-il. Il a lancé un appel,
mais continuer avec quoi ? Avec qui ? L’Angleterre tiendra combien ?
Un mois ? Si les Russes…
    — Ça a été dur ? demanda mon père.
    — Ils n’ont pas pu faire cent mètres. Un massacre. Nous
tenions les crêtes, les Italiens étaient en bas. Voilà.
    Carlo se levait.
    — Tu es vivant, disait-il en prenant son fils par
l’épaule. Dans une guerre, c’est ce qui compte.
    — Vous croyez qu’elle est finie ? dit Gustav Hollenstein.
    — Pour nous, oui.
    Carlo Revelli s’approchait de moi.
    — Tu n’es toujours pas venu me voir à Gairaut. C’est
ton père qui ne veut pas ? Il est encore têtu ?
    Je me rapprochais de mon père, le regardait.
    — Oncle, c’est loin Gairaut, répondait mon père, et
avec les événements…
    Carlo Revelli s’éloignait.
    — C’est fini, répétait-il. Vous connaissez Charles
Merani, mon beau-fils ? (Il s’adressait à Hollenstein.) Il revient de
Vichy. Il a je ne sais quel poste avec Darnand. Il a vu le Maréchal ou Laval,
ou les deux. (Carlo faisait une moue, secouait la tête.) L’Angleterre va capituler
dans deux ou trois semaines. Après (il entourait les épaules de Hollenstein de son
bras) nous aurons les touristes allemands. Ils aimeront la côte, vous verrez.
Vous avez eu tort de me vendre vos hôtels, Hollenstein.
    — Je suis juif, dit Hollenstein à mi-voix.
    — Allons, allons, commença Carlo Revelli (il
s’interrompit, s’appuya à sa canne, grimaçant). Allons, reprit-il, j’étais
italien, moi, et maintenant nous sommes français, vous et moi.
    — Juif, répéta Hollenstein, ce n’est pas italien.
    — La même chose, dit Carlo.
    Il se pencha vers moi :
    — Viens à Gairaut toi, que je sache un peu si tu es un
vrai Revelli.
    Ils sortaient, je suivais en courant leur voiture, je
traînais dans les rues. Avenue de la Victoire, sous les platanes, des hommes en
chemises noires, le bras levé, criaient Nizza nostra, Nizza nostra. Sur
le trottoir opposé les passants s’arrêtaient, quelqu’un lançait Vive Pétain,
vive la France, une dizaine d’agents cyclistes survenaient,

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