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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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entouraient les
chemises noires.
    Je m’approchais, je regardais ces hommes aux visages tendus,
j’avais le désir de me mêler à eux.
    J’aimais, c’est vrai, le grand jeu de la guerre.

5
    Ma mère était belle. Le matin, pendant les vacances, je
l’accompagnais. Nous partions tôt, Christiane dans une poussette à laquelle
souvent je donnais de l’élan. Ma sœur criait, je courais autour d’elle, je
saisissais à nouveau la poussette, la dirigeant vers les mouettes, zigzaguant
au milieu des fauteuils, longeant la balustrade de cette Promenade des Anglais
que nous empruntions toujours parce que ma mère ne se lassait pas de l’horizon
ouvert, du jeu doré du soleil sur les façades des grands hôtels.
    Elle marchait devant nous, regardant autour d’elle, altière,
les mains libres puisqu’elle avait accroché les filets à provisions à la
poussette.
    J’aimais la voir ainsi. Je me souviens de ses jambes brunes,
musclées, et le soir, tendant le pied pour faire surgir le mollet, je m’assurais
que ma jambe ressemblait aux siennes, que nous avions la même peau, lisse et
foncée.
    Je ne savais pas que ma mère était belle. J’éprouvais
seulement la joie de la voir, dans la beauté matinale de la mer, devant les
palmiers me tendant la main pour traverser la chaussée, la brise fraîche qui
venait de la terre soulevant sa robe de tissu imprimé.
    Parfois, alors qu’elle paraissait seule, un homme
s’approchait d’elle, marchait à ses côtés. Je retenais la poussette, je me
perdais parmi les passants, nombreux déjà, car la ville, vide quelques
semaines, s’était à nouveau peuplée et sur la Promenade, dès le matin, les
oisifs étaient là, chapeaux et guêtres blanches, chemisette rayée, ou bien
vêtus de noir, frileux malgré l’été.
    — Des métèques, disait Monsieur Baudis. À Paris, ils
n’ont plus la vie belle, alors ils filent ici comme des rats. Nous sommes
devenus l’égout de la France.
    J’apercevais ma mère qui haussait les épaules, tournait
vivement la tête, me cherchait des yeux, m’appelait :
    — Roland ! Roland, viens.
    Sans doute était-ce pour l’entendre ainsi réclamer mon aide,
pour m’assurer qu’elle ne m’abandonnerait pas, qu’elle me choisirait toujours
contre ces hommes qui l’abordaient, que je me dissimulais, pour la mettre à
l’épreuve.
    — Tu as vu cet imbécile ? disait-elle quand je la
rejoignais.
    Mais je devinais sa fierté. Elle marchait plus vite,
regardant droit devant elle et je savais qu’un jour elle dirait à mon père :
    — Tu sais, je n’ai qu’à lever le doigt, des hommes…
Seulement je suis idiote.
    Je me sentais alors rougir comme si j’avais favorisé des rencontres,
armé contre mon père la main d’un ennemi.
     
    Nous quittions la Promenade, nous traversions les jardins où
les pelouses avaient été transformées en potager. Nous prenions la rue
Saint-François-de-Paule, passant devant la maison Merani. Ma mère ralentissait
son pas et souvent elle regardait la façade, la mosaïque au-dessus de la porte.
    — Il est né là, votre père, disait-elle.
    J’entrais dans la cour, la poussette m’entraînait sur la
pente, vers les hangars, je secouais Christiane pour qu’elle se taise, ma mère
survenait, me giflait.
    — Vous avez fini ! criait-elle.
    Cette gifle aussi je la recherchais, sacrifice à mon père
que j’accomplissais rituellement, si bien que ma mère empruntait souvent le
trottoir opposé pour m’empêcher d’entrer dans la cour, de reconnaître ce passé.
    Nous arrivions enfin au marché aux légumes. Et la guerre
était là. Cris et bousculades, queues, courses pour être parmi les premiers
devant un banc où l’on espérait une livraison de tomates. Ma mère allait d’un
étal à l’autre, aux aguets, autoritaire.
    — Reste là, disait-elle.
    Je gardais sa place dans une queue, elle haussait le ton si
quelqu’un protestait. Je l’admirais. J’étais rassuré d’être près d’elle, si
grande, si forte.
    Quand le marché était vide, que nous arrivions les derniers
devant la planche de l’étal où il n’y avait plus qu’un peu de terre, ma mère
prenait elle-même la poussette, s’engageait dans la vieille ville.
    — Si ton père était malin, disait-elle, est-ce que
j’aurais besoin de courir ? Mais avec ce qu’il gagne.
    J’étais honteux pour lui.
    Nous montions chez mon grand-père Vincente. C’était déjà la
fin de la matinée.
    — Je viens voir si

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