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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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père ? me demandait-elle.
    — C’est mon ami, il faut qu’il vive avec toi.
    De la main gauche, elle prenait la nuque de Bernard.
    — Un grand garçon, disait-elle, qu’est-ce que tu
racontes ?
    J’avais le sentiment d’avoir changé depuis que je m’étais
enfui.
    Moins d’une heure cependant, mais je découvrais qu’agir transforme.
Je saisissais la main de ma tante, je fermais la porte. Je murmurais :
    — Il est seul. Maman ne veut plus. Ils ont pris sa
mère, l’autre jour, le jour du directeur de l’hôtel.
    Ma tante me donnait Vincent à porter, elle se baissait,
posait ses deux mains sur les joues de Bernard, le regardait longtemps, puis :
    — Tu vas voir, disait-elle, je vais si bien t’installer
ici que Roland sera jaloux.
    Bernard, mon ami, dont le visage, depuis le soir où je
l’avais vu devant notre porte, paraissait immobile, les paupières seules de
temps à autre par leur mouvement rapide et instinctif disant l’émotion, s’est
tout à coup mis à grimacer, le menton pris d’un tremblement, la bouche
déformée. Il a baissé la tête, s’est jeté contre le corps de ma tante pour y
dissimuler ses sanglots.
    Je suis parti avant qu’il ne redresse la tête, ma tante
prenant Vincent que je lui tendais, me murmurant :
    — Ne t’inquiète pas, Roland, je garde ton ami avec moi.
    Tout le long du boulevard de Cimiez j’ai sauté, un pied,
l’autre, et mon corps semblait rebondir, l’élan, la descente, je m’accrochais à
un platane, je franchissais un banc, prenais par les larges escaliers qui
conduisent au centre de la ville et je continuais de sauter. Je m’arrêtais
avenue de la Victoire devant le centre de propagande de la Révolution
nationale. Pétain me faisait face dans la vitrine, fleurs et drapeaux autour du
vieillard patelin. J’entrais.
    Déjà plusieurs fois j’étais venu avec Catto, le fils du
concierge, mais cette fois-ci j’avais l’audace que donne la réussite. Je choisissais
des brochures, les plus épaisses, à la couverture glacée marquée de la francisque
d’argent. Je passais entre les rayons, je paraissais attentif aux photos du
Maréchal debout dans le jardin de sa propriété de Villeneuve-Loubet, je
surveillais les messieurs en béret qui parlaient entre eux.
    — Darnand et Merani me l’ont répété mot à mot,
disaient-ils, Pétain les a reçus à Villeneuve-Loubet, il leur a dit : « Dénoncez
les ennemis de l’ordre nouveau en vous inspirant de ma formule : je n’aime
pas les juifs, je déteste les communistes, je hais les francs-maçons. »
Voilà mon cher, mot à mot, voilà.
    Je glissais ma main vers les écrins, mes doigts
rencontraient ces francisques d’argent, ces casques gaulois que les
légionnaires portaient à leur boutonnière, je me baissais, je les plaçais dans
mes chaussettes, puis j’avançais vers les messieurs, je les interrompais :
    — S’il vous plaît, monsieur je peux avoir cette photo
du Maréchal, s’il vous plaît ?
    Ils me donnaient, généreux et bienveillants, des cartes
postales. Alors seulement je sortais, je me dirigeais lentement vers le boulevard
Victor-Hugo et là, sous les platanes que commençait à secouer le vent du soir,
je courais à perdre haleine, serré par la peur et la joie. J’entrais dans l’une
de ces maisons somnolentes, vieilles rentières immuables, je sonnais aux portes
de chêne à deux battants, je présentais mes revues, mes francisques, je disais :
    — C’est pour le Maréchal, vous donnez ce que vous
voulez.
    Les bonnes appelaient leurs maîtresses. J’attendais dans des
antichambres où les glaces décorées réfléchissaient les lustres de cuivre ou de
cristal.
    Parfois je devinais les soupçons :
    — Mais qui t’envoie ?
    — L’école, Madame. C’est pour le Maréchal.
    Avais-je appris à sourire ou bien l’instinct des pauvres
accumulé en moi m’avait-il légué cette fausse candeur qui les trompait si bien ?
J’avais bientôt les poches pleines de monnaie frappée de la francisque, de
billets.
    J’achetais mes galettes noires et je rentrais à l’hôtel.
     
    J’ai aperçu mon père qui m’attendait devant l’entrée de la
cour. Il s’avançait jusqu’au milieu de la rue, regardait dans les deux sens,
mais je m’étais dissimulé dans une porte, par jeu, parce que la guerre, ces
bandes d’Actualités toutes déchirées de rafales et des hurlements des avions
qui piquaient vers les routes, m’avaient enseigné qu’il faut

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