Nice
surprendre, bondir
quand l’autre se tourne, se coucher à nouveau derrière un repli du terrain, et
j’avançais ainsi vers mon père en franc-tireur, de porte en porte. Je me suis
précipité vers lui, entourant ses jambes, criant :
— Tu es mort, tu es mort.
Il se dégageait brutalement, me secouait, me giflait, criait :
— Où étais-tu, imbécile, des heures que tu t’es enfui,
où étais-tu ?
Trahi par mon camarade. Il se calmait, m’expliquait.
— Tu es parti avec Bernard, comment veux-tu qu’on sache ?
(Il baissait la voix.) Où est-il ?
J’inventais – pourquoi ? – une rencontre
inattendue avec Violette dans la rue Barla. Elle avait voulu garder Bernard
chez elle, j’avais été obligé de les accompagner.
— Il est là-bas ?
Ma mère, comme nous entrions, marchait vers moi, la main
levée : « Salaud, salaud. » Un mot qui salissait sa bouche, dont
elle me souffletait pour la première fois, et je la défiais, la méprisant si
fort qu’elle baissait le bras, se mettait à pleurer, répétait :
— Ils me feront crever.
Mon père essayait de la calmer.
— Assieds-toi, disait-il. Il est là, il n’a rien. Son
ami est chez Violette. Ça s’arrange bien.
Elle se secouait comme si, parce que mon père la touchait,
elle avait eu le corps couvert d’insectes.
— C’est toi, c’est toi, avec tes idées, toi,
criait-elle.
Christiane, debout sur le seuil de sa chambre, balançait au
bout de son bras, la tenant par un pied, sa poupée blonde et tout à coup elle
la jeta sur moi.
8
J’étais le gardien d’un secret. Je ne trahirais pas. Il me
semblait être suivi. Je tournais le coin d’une rue, je m’élançais avant qu’on
me rejoigne et je butais parfois contre ces sentinelles, maigres soldats aux
vêtements sombres, leur fusil armé d’une longue baïonnette, miliciens à peine
plus âgés que les plus grands de notre école.
L’un d’eux, après la garde, venait dans le jardin où nous
jouions, Catto, Marcel, moi, des filles, Danielle, Julia, Monique et d’autres
adolescents du quartier, Paul, Julien.
Il s’approchait de nous. Nous étions assis sur le bord des
pelouses prêts à nous disperser quand nous apercevrions le gardien, nous dissimulant
dans les tranchées de la défense passive et j’en connaissais les détours, les
coins reculés, j’y entraînais Julia, Danielle ou Monique. Nous nous collions à
la terre humide et fraîche, nos mains se rencontrant dans l’obscurité, et nous
chuchotions :
— Tu crois qu’il nous voit ?
Nous nous enfoncions encore et nous entendions leurs appels :
— Roland, Monique.
Elle se mettait à courir dans la tranchée vers les marches
de rondins et la lumière qui me rendait ses cheveux blonds.
Le milicien, les mains passées dans le ceinturon, s’arrêtait
devant nous qui nous taisions.
— On va partir se battre en Russie, disait-il. Je vais
vous montrer.
Il dégrafait l’étui de son revolver. Nous nous levions tous,
nous approchant de lui. Il sortait l’arme, faisait jouer le chargeur, le cran
d’arrêt, une à une il glissait les balles dans sa paume et nous donnait l’arme
pour que nous la soupesions.
— Avec ça, à cent mètres, je fais éclater la tête,
comme je veux.
Il reprenait le revolver, tendait son bras dans la direction
d’un vieillard assis sur un banc.
— Chiche, on le descend ?
Nous nous écartions, il riait, replaçait les balles, le
chargeur, fermait l’étui, et s’éloignait vers l’hôtel de la Milice proche du
jardin.
— Si on t’arrêtait, disait Julia, tu trahirais ?
Je prenais un caillou au bord tranchant comme une lame, je
traçais une ligne droite sur mon avant-bras, j’enfonçais, je déchirais la peau
jusqu’à ce que le sang perle. Je ne trahirais pas. Ils pouvaient me lier les
mains derrière le dos, mon visage pouvait prendre ce teint livide qu’on voyait
aux terroristes, paupières gonflées, pommettes tuméfiées, leur chemise
échancrée sur le cou, et la corde était là, devant eux, à hauteur de gorge.
En Ukraine, sept bandits, des terroristes coupables
d’avoir assassiné trente-huit personnes après les avoir torturées dans des conditions
particulièrement atroces, ont été condamnés à mort par un tribunal militaire
allemand et vont être exécutés en présence de la population du village qu’ils
rançonnaient.
Je n’écoutais plus le présentateur des Actualités, je
sortais du cinéma,
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