Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
Vom Netzwerk:
Alexandre de quoi acheter du papier pour Combat, mais je ne
veux pas qu’il se laisse prendre, tu entends ?
    Il lançait la boîte de cigares à mon père.
    — Fumes-en un, testa de mùo.
    Il tirait sur son cigare par courtes aspirations qui
faisaient rougeoyer le tabac noir.
    — Vos idées, vos petits complots, qu’est-ce que vous
imaginez ? Que vous allez changer quelque chose ? (De son poing fermé
il frappait sur la table.) C’est l’Amérique et les Russes qui vont tout changer,
quand ils voudront, comme ils voudront. Jusque-là tenez-vous tranquilles,
imbéciles. Reste en vie.
    Mon père posait la boîte de cigares sur la table.
    — Tu sais, oncle, avec la ferraille, on fait des
fusils, pour me tuer, moi. Tuer ton fils.
    Carlo Revelli fumait calmement maintenant.
    — Si ce n’est pas moi qui vends, y en a toujours un
autre, dit-il après un silence. La guerre je l’ai pas décidée.
    — Tu collabores avec eux.
    — Je collabore avec moi, dit Carlo. Avec eux, et avec
toi.
    — C’est pas bien beau, oncle, pas bien beau.
    L’un et l’autre ils étaient en moi. J’avais la force de
donner un coup avec Carlo, Carlo le riche et je recevais le poing dans le
visage avec mon père. Vainqueur vaincu. J’étais comme une carte à jouer, tête
en l’air et en bas.
    — Pour ton Sori, je vais essayer, reprenait Carlo. Et
toi, quand tu voudras te cacher, quand tu auras besoin de papiers, viens me
voir. (Il s’approchait de moi.) J’aime bien ton fils. Dante, il va me
ressembler celui-là, non ?
    — C’est mon fils, dit mon père, pas le tien.
    Et il me poussa devant lui dans l’escalier, m’éloignant de
Carlo Revelli.
10
    Un jour la guerre est vraiment devenue la guerre.
    Rafaele Sori, le visage maculé de barbe, de larges plaques
sombres autour des yeux, sur le cou, les mains, s’asseyait dans notre cuisine,
respirant difficilement, et ma mère, la bouche entrouverte, restait debout
devant lui qui avait tant changé, qui dit enfin passant ses doigts sur sa joue :
    — Dante, je voudrais le rencontrer, vite.
    Ma mère me poussait dehors mais avant de sortir, je voyais
la tête de Rafaele Sori qui tombait en arrière et paraissait entraîner le corps
et ma mère avait un mouvement pour le soutenir mais il se redressait :
    — Si je pouvais boire, me raser.
    Il se recroquevillait, dans une pose contraire, le front
presque sur la table, puis il se tenait à nouveau droit.
    — On a réussi à filer, disait-il, dans la pagaille,
mais les autres vont venir, alors avant…
     
    Le brasier que les soldats italiens avaient allumé dans la
cour de l’hôtel s’éteignait lentement, étouffé sous les dossiers. Des feuilles
à demi calcinées voletaient encore et les caractères sur les pages noircies
ressortaient, plus clairs : Esercito italiano, IV Armata.
    Depuis deux jours, je voyais cette armée se défaire, les
soldats jetant leurs casques du haut des fenêtres, les officiers en civil, pistolet
au poing, s’emparant des voitures, et je traversais les salons de l’hôtel où
s’amoncelaient les caisses ouvertes, les armes.
    Je manquais la classe, je montais les escaliers en courant
au milieu des soldats qui allaient et venaient, les bras chargés de machines à
écrire, d’archives. Je me dissimulais quand j’apercevais mon père ou ma mère
dans la cour.
    J’entrais dans les chambres, je découvrais le goût du
pillage. J’avais envie, moi aussi, de lacérer, de mettre le feu. Je
redescendais, en sautant les marches, dans le hall de l’hôtel, et brusquement
je découvrais qu’il était abandonné, que les cris avaient cessé, que les portes
restaient béantes.
    Mon père m’appelait.
    Nous entassions dans des cageots du riz, du café, des boîtes
de conserve, nous chargions un charreton. Mon père s’attelait. Je poussais et
nous longions la rue de France, doublant les colonnes de chasseurs alpins
italiens qui marchaient vers la frontière.
    La ville semblait ne pas voir les soldats, ne pas entendre
leur piétinement, mais dès qu’ils avaient quitté un cantonnement, à la Madeleine,
à l’Ariane, à Riquier, elle se jetait sur leurs dépouilles.
    Mon grand-père Vincente coupait en riant une boule de pain,
me donnait un lourd morceau de parmesan :
    — Mange Roland, mange.
    Lui-même mordait avec avidité, une fougue juvénile, dans ce
pain à croûte grise dont la mie était presque trop blanche. Il toussait :
    — Tu t’étouffes pa ? disait Louise.
    — Ils

Weitere Kostenlose Bücher