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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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muselé et défiguré la ville par ce
groin de béton, ces murs barrant les rues en pente qui descendaient vers la
Promenade des Anglais.
    Je m’approche, je regarde par les meurtrières, je reconnais
dans la masse granuleuse du mur, les galets presque bleus de notre plage.
Parfois je m’aventure, j’oblige Christiane à m’attendre, je dis à Bernard « toi
tu ne peux pas ».
    Je me glisse dans un étroit boyau qui permet aux soldats, à
quelques riverains, de pénétrer dans la zone interdite du bord de mer. Je
m’avance, le dos contre la façade. La rue Saint-François-de-Paule est déserte.
Les voix des ouvriers qui murent les fenêtres résonnent. Au bout de la rue
j’aperçois le jardin, les fils de fer barbelé et sous les palmiers, un
blockhaus, coquillage renflé, lourd, crevé de cavités noires qui me fixent
comme un œil sans regard. Il me semble entendre des pas, je m’enfuis.
    — T’as vu quoi ? demande Bernard.
    Je l’entraîne vers les rues du centre comme si nous étions
poursuivis, s’il fallait que nous nous perdions dans la foule.
    — Tu en as vu ?
    Nous guettons les soldats, leurs patrouilles, les
sentinelles devant l’Hôtel Atlantic où flotte, à demi dissimulé par les
feuilles des platanes, le rouge et le noir de leur drapeau, et surtout ces
voitures basses de la Gestapo qui parcourent lentement les rues, les portières
s’ouvrent, deux hommes bondissent, les mains agrippent les bras d’un passant,
l’entraînent alors qu’il gesticule, et les portières encore entrouvertes la
voiture s’élance, disparaît au coin de la rue de l ’Hôtel des Postes.
     
    — Ils vont à la synagogue, tu comprends, explique ma
tante Violette.
    Elle a fait asseoir Bernard sur une chaise au milieu de la
cuisine, elle tourne autour de lui, attentive, les ciseaux à la main. Les
boucles noires – et j’en prends une soyeuse sur la serviette posée sur les
genoux de Bernard – tombent dans le cliquetis des ciseaux.
    — Il faut toujours que tu sois coiffé avec une raie,
dit Violette. Dans la synagogue les voitures s’arrêtent. Le passant trébuche parce
qu’on le pousse vers l’entrée, qu’il est aveuglé par la peur, la surprise. Dans
une pièce, des hommes l’attendent :
    — Ça doit en être un, tu t’appelles comment ? Blum
ou Dreyfus ? Allez, montre-nous ça.
    Ils rient cependant qu’il se déculotte.
    — Vous avez la gueule pourtant, une belle gueule de
youtre. Vous n’êtes pas gâté, Monsieur, faut vous refaire le nez !
    — S’ils te prennent, reprend Violette, tu diras que tu
as été opéré, tu as le certificat sur toi ?
    Elle se tourne vers moi :
    — Il ne doit plus sortir seul. Viens le chercher quand
tu peux, deux gosses dans la rue, c’est plus normal.
    Je suis sorti souvent avec Bernard, je n’avais plus la ville
à traverser. Depuis quelques mois nous habitions avenue de la Victoire, un
appartement au cinquième étage d’un vieil immeuble qui domine le quartier. À quelques
mètres au-dessous des fenêtres le fleuve vert des platanes qu’assèche l’hiver,
que bordent les ressauts des toits de tuiles, des verrières et plus loin, les
rives des collines de l’ouest.
    J’explorais l’appartement en courant, j’atteignais l’autre
façade, les fenêtres qui ouvraient sur le Mont Chauve, le Mont Gros, le fort du
Mont Alban et les pierres blanches du cimetière du Château, au-dessus de la
vieille ville. Ma mère m’avait suivi.
    — Je ne suis pas chez moi, je ne m’y habituerai pas,
tout ça. (Elle montrait des caisses, des meubles qui encombraient les pièces.)
Je ne peux pas vivre ici. Ton oncle, disait-elle à mon père, il n’a pas beaucoup
cherché.
     
    Quelque temps avant que les Allemands ordonnent l’évacuation
de l ’Hôtel Impérial et des immeubles de la Promenade, Carlo Revelli nous
avait demandé de lui rendre visite à Gairaut.
    Il était assis au soleil, une couverture sur les genoux,
qu’il rejetait tout à coup et Anna, se baissant difficilement, la ramassait, la
pliait, la posait près de lui.
    — Tu auras encore mal, disait-elle. Tu sais que dès que
tu prends froid tu…
    Elle s’interrompait parce que Carlo avait un mouvement de
colère. Il fermait le poing et sous sa peau marbrée je voyais les veines,
nervures foncées, épaisses.
    — Je me demande, marmonnait-il, s’il vaut pas mieux
crever, avant d’être comme ça.
    Il tentait de se lever, portait la main à son dos, jurait,
Alexandre

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