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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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ont mis de la farine de riz.
    Mon père montait les cageots, les plaçait dans un coin de la
cuisine.
    — Ici, disait-il, personne viendra les chercher, à
l’hôtel, j’avais peur.
    Il montrait à mon grand-père ses rapines. Ils se penchaient
ensemble, soupesant les sacs, riant, et je découvrais notre ressemblance,
l’atavisme qui nous liait, eux, moi qui me sentais aussi fébrile, joyeux devant
ces marchandises volées qui comblaient bien plus que notre faim, nous
assuraient que nous étions encore capables de violer l’interdit, de refuser la
loi, la soumission.
    Au retour, mon père, s’enfonçant à nouveau dans l’hôtel, et
il m’en chassait « Rentre, rentre, maman t’attend », je rencontrais
Rafaele Sori et alors qu’il se levait s’appuyant au dossier de la chaise, je
partais à la recherche de mon père, courant dans les couloirs encombrés,
glissant sur les rampes. Je le voyais enfin, un fusil dans chaque main.
    — Passe devant, Roland, dis-moi s’il y a quelqu’un.
    Nous appartenions à la même bande de pillards. Courbé, je
l’appelais d’un signe de main, nous descendions dans l’atelier, il enveloppait
les fusils dans une toile, les plaçait au milieu de planches, mais j’avais pu,
avant, tenir la crosse, épauler, éprouver le désir d’appuyer sur la détente.
    — Ça servira, tu verras, disait mon père que j’entraînais
vers Rafaele.
    Ma mère était devant la porte, elle empêchait mon père
d’entrer.
    — Tu sais que Rafaele s’est enfui, disait-elle, mais
les Allemands vont arriver. Ils viendront ici, il doit partir, je ne veux plus
les voir ici, ni lui, ni Antoine, ni ton Karenberg, personne.
    Elle comprimait sa bouche avec ses paumes comme si elle
avait voulu s’empêcher de parler, mais elle ne réussissait qu’à rendre sa voix
plus aiguë, plus anxieuse encore et je saisissais ma mère par la taille dans un
mouvement instinctif pour la rassurer. Elle prenait ma tête, la serrait contre
elle.
    — Il y a les enfants, disait-elle, tu entends, les
enfants.
    Derrière elle, tout à coup, la voix de Rafaele :
    — Je vais partir, vous savez.
    Mon père la bousculait, embrassait Rafaele. Ils restaient un
long moment dans les bras l’un de l’autre.
    — J’avais vu mon oncle Carlo, disait plus tard mon père.
Il m’avait promis d’essayer, pour toi.
    — À un moment, dit Rafaele. (Il s’arrêtait, levait la
tête pour rejeter lentement la fumée de la cigarette que mon père lui avait
donnée.) À un moment, ils nous ont mis dans une cellule et nous ont laissé
tranquilles. On a eu à manger. J’ai pensé que quelque chose s’était passé,
parce qu’ils ont continué avec d’autres.
    — Dur ? (Mon père poussait vers lui deux paquets
de cigarettes.) Prends-les, j’en ai. Dans l’hôtel on a trouvé ça et autre
chose. Hein Roland ?
    J’étais assis entre eux, fier de leur confiance. Ma mère et
Christiane restaient dans la salle à manger. J’étais un homme.
    — Au début on a peur. Ils tapent. On se dit qu’on
tiendra pas, puis (Rafaele prit ma nuque, me secoua). Tu as grandi Roland,
dit-il.
    Quand il retira sa main, qu’il l’ouvrit sur la table, je vis
le bout de ses doigts gonflés, les ongles noirs.
    — Et Violette ? demanda-t-il. Je voulais les voir,
elle et le gosse.
    — Il a grandi aussi, dit Dante.
     
    J’ai guidé Rafaele dans l’allée de palmiers vers la villa de
Violette et quand nous nous sommes arrêtés devant la porte, nos vélos appuyés
contre la grille du jardin, il a voulu que je sonne. Bernard est sorti en
courant.
    — T’as vu, les Italiens foutent le camp, a-t-il lancé
en me voyant.
    Tout au long du boulevard de Cimiez nous avions croisé des voitures
de l’armée chargées de caisses, des camions où les soldats debout criaient : A casa, A casa.
    Rafaele s’est avancé au moment où Violette apparaissait sur
le seuil, tenant Vincent par la main. Elle s’immobilisait et Bernard et moi
nous les regardions, elle et Rafaele qui se dévisageaient.
    Je crois qu’ils sont restés debout face à face dans l’appartement,
Rafaele parlant des Allemands qui allaient occuper la ville et nous nous
approchions d’eux pour écouter.
    — Mais la guerre, continuait Rafaele, de toute façon
ils l’ont perdue. Après, après, ce sera différent.
    Il s’accroupissait devant Vincent.
    — Il marche bien, disait-il.
    — Quand la guerre sera finie, dit Violette, ce sera
comme maintenant. (Elle

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