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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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s’avançait, prêt à l’aider. Carlo serrait les dents : « Merde,
merde, putana ! » et s’accrochant à sa canne, l’enfonçant dans la
terre, il se dressait enfin, souriait à Nathalie, assise près de son fils.
    — Ne faites pas cette tête, lui disait-il, il connait
pas encore les rhumatismes, Yves, Alexandre non plus. Alors ? Votre fils
et votre mari ils marchent, vous aussi, le reste on peut toujours s’arranger.
Qu’est-ce que tu en penses, Dante ?
    Carlo Revelli faisait quelques pas vers mon père.
    Anna dépliait la couverture, s’approchait de son mari et la
jetait sur ses épaules.
    — Garde ça, disait-elle tout à coup autoritaire.
    Carlo se tournait vers elle, le visage méprisant, mais Anna
lui faisait face :
    — Tu te crois malin, tu as quatre-vingts ans, pas
quarante.
    Carlo se mettait à rire, découvrant ses dents jaunes,
déchaussées.
    Il faisait glisser la couverture en soulevant ses épaules.
    — Quand j’en aurai cent tu me feras la loi, pour
l’instant c’est encore moi, moi.
    Il s’accroupissait en se tenant à la canne, soulevait la
couverture, la jetait d’un mouvement hésitant sur le banc de marbre contre la
façade.
    — C’est sur les chantiers, quand on montait les sacs,
qu’on couchait par terre dans les carrières, que j’ai dû attraper ça. Vous, les
Revelli de maintenant, vous n’aurez pas de rhumatismes.
    — J’en ai, papa, dit Alexandre, plus que toi.
    Carlo baissait la tête pour rire doucement.
    — Toi, c’est parce que tu restes trop souvent assis,
vous êtes comme ces vaches de la plaine, près de Milan. On les gardait dans les
étables, elles montaient jamais comme les nôtres, au Piémont, dans la montagne.
Crois-moi, le lait c’était pas le même. Il avait aucun parfum. (Il
s’interrompait un instant, reprenait.) C’est vrai, quand je vous vois, tous.
(Il tournait sur lui-même, appuyé à sa canne, nous dévisageant les uns après
les autres.) Et encore, vous, toi Dante, toi aussi Alexandre, vous êtes pas les
plus blancs, mais il y en a aujourd’hui, ce sont des hommes qui n’ont plus d’odeur.
Tu t’approches, tu sens rien, le savon ou la merde. Dans les étables ça pue la
merde, les vaches elles s’en collent partout, tandis que celles de la montagne,
t’en as vu toi (il me regardait) t’en as vu Roland, des vaches juste au bord de
la forêt ? Tu vas vers elles, elles ont le pis gros comme le bras, tu
prends ça, tu en as plein les mains, tu tires, et ça vient, chaud, ça pisse
droit dans le seau, ça sent, un parfum qu’on respire qu’à ce moment-là, quand
le lait est à peine sorti. Moi, dans le seau, je mettais toute la figure. Ça
fait du bien. On boit, pas seulement avec la bouche mais avec le nez, les yeux,
la peau, après tu en as partout, tu sens le lait.
    Il s’asseyait dans le fauteuil, se tournait vers son fils :
    — Alexandre, cette couverture, pose-la, là sur mes
genoux.
    — Tu y viens quand même ? dit Anna.
    — J’y viens, j’y viens, si tu veux voir…
    Il fit le geste de la rejeter à nouveau.
    — Je m’en vais, cria Anna.
    — T’as raison, va-t’en, va à la cuisine, elle a quinze
ans de moins et elle a tout le temps froid. Qu’est-ce que je disais ?
    Il se baissait sur le pommeau de sa canne, la bouche près
des poings.
    — Ils sentent, parce qu’ils se font dessus, dans leurs
brailles, ils ont peur. Combien ils sont dans votre résistance ? (Il
désignait Dante, Alexandre.) Un pour cent ? Même pas.
    — Ils ont arrêté Jean Karenberg, dit Nathalie, on l’a
pris hier.
    Elle caressait les cheveux de son fils, elle lançait un coup
d’œil à Alexandre, portait la main à ses lèvres, peut-être pour s’empêcher de
sangloter.
    — Papa, lui…
    — C’est pas vous, dit Carlo violemment. Quand une
pierre tombe à côté, elle tombe pas sur vous, non ?
    — Vous êtes trop égoïste pour moi, dit Nathalie, trop.
    Elle prit la main d’Yves et l’entraîna dans le jardin, nous
laissant dans le silence et la gêne.
    — Il y a ces Russes, dit Alexandre après un long moment
et l’on entendait les cris d’Yves qui, du côté des oliviers, jouait sans doute
avec sa mère. Ils travaillent avec la Gestapo. Des vieux amis de Katia, le
prince Golovani, d’autres, eux savaient ce que pensaient les Karenberg. Ils
n’ont pas dû pardonner. Ils sont installés à Fabron, deux villas, ils obligent
les gens à parler, Katia…
    — Celle-là, dit mon père,

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