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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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il t’entend.
    Je murmurais pour essayer de comprendre : Notre père
qui êtes aux cieux…
    L’église était une grotte fraîche, apaisante. Sur le parvis,
la lumière me repoussait comme un front de flammes où je devais me jeter. Un
soldat américain passait. J’étais repris.
    Je m’installais entre les lauriers, devant l’Hôtel Continental :
Do you sell shoes ? Do you sell cigarette ? et c’est seulement le
soir que revenaient mes rêves et mes questions.
    Il faisait chaud. J’étais nu sur le lit, fenêtres ouvertes,
je distinguais entre les façades et les toits la proue du ciel. J’allais de
Katia aux fusillés de la Promenade, je commençais une prière et j’avais devant
moi le visage de Torrin. Je me levais, et j’ai pris l’habitude de m’habiller
silencieusement, de franchir la fenêtre et de connaître la liberté de la nuit.
    J’ai d’abord marché vers la Promenade, j’ai découvert que
l’horizon était un tunnel dont on ne voit pas le bout, que la mer s’était
alourdie, pâteuse, chaque vague lente à s’abattre et laborieux était le ressac,
habité le ciel.
    « Chaque étoile, un soleil et des terres autour de lui »,
avait dit mon père sur la grève et je m’étais rapproché de mon grand-père
Vincente, appuyé à sa poitrine.
    Leurs mots, leur présence, je les revivais me dirigeant vers
Roba Capèu, revenant sur mes pas parce qu’il me semblait tout à coup que je n’avais
pas le droit de mêler ce désir d’une femme à mon souvenir. Une nuit je suis
monté sur la colline de Cimiez pour découvrir la ville, éprouver la profondeur
nocturne des sites que je visitais le jour.
    Je me suis avancé dans l’allée des palmiers. Devant la porte
de Violette j’ai aperçu la bicyclette de Sam Lasky que je reconnaissais à son
cadre noir, à son guidon haut et nickelé.
    Je me suis senti démuni, volé. Ils détenaient les réponses.
Ils les gardaient jalousement.
    Je rentrais.
    Des jeeps de la Military Police et des agents stationnaient
près du passage où brillaient encore les enseignes du Star Hôtel et du Whisky
Club. Clarinette, batterie, voix éraillées et rires de femmes : je
frôlais ce territoire interdit.
    Je retrouvais mon lit, les draps froissés, la chaleur moite
de notre rez-de-chaussée.
    Je me donnais, comme on se mutile, un plaisir rageur. Je
m’endormais enfin sûr que je méritais de mourir.
16
    Heureusement il y avait le matin. Le soleil me réveillait le
premier parce que ma chambre était à l’est, que je laissais à dessein les
volets ouverts. J’aimais le silence dans l’appartement, cette sensation de
pouvoir que me donnait le sommeil des autres. J’étais à l’abri de leurs
regards. Je disposais librement des choses et de moi. Je lisais dans la cuisine,
je déjeunais d’une tomate ouverte sur le pain. J’écoutais la naissance des
bruits, la mer, l’eau d’une lance sur la chaussée, une voix, le tramway.
    Mon père souvent me surprenait. Il s’appuyait à moi alors
que j’étais penché à la fenêtre, les yeux fermés, me laissant peu à peu
recouvrir par le soleil qui atteignait ce coin de la maison.
    — Déjà levé ? Tu es comme moi, disait-il. J’étais
debout avant mon père. Maintenant c’est toi. Carlo, l’oncle, lui aussi toujours
le premier levé. Mon père me racontait que c’était Carlo, à Mondovi, qui
réveillait tout le monde.
    Je faisais un mouvement pour me dégager du bras de mon père.
J’avais hâte de partir en classe. Il m’irritait, peut-être parce que j’étais
ému par son visage gonflé de sommeil, gris de barbe, sa toux, ses gestes
rituels, pouce sur la molette du briquet, la longue aspiration de la fumée.
    Il voulait parler, me raconter, me lier à son histoire, me
forcer à le comprendre, à excuser son attitude, ses renoncements. Il fallait
que je m’éloigne avant de me laisser prendre à sa voix, à ses raisons, avant
que la poussée vers lui ne soit plus forte que mon désir de rompre. Et je
m’efforçais de rompre puisque, à nouveau, après les mois de gloire, il s’était
rangé dans le camp des vaincus.
    — Tu as vu, s’ils vous ont suivis, disait Antoine au
lendemain des élections. Mais qu’est-ce que tu croyais ?
    Il faisait un geste, la main pirouettant sur la tempe.
    — Vous les avez rendus les fusils, reprenait Antoine.
(Il repoussait son assiette vers le centre de la table. Nous déjeunions chez
eux.) Et vous voulez quoi ? Qu’on vous donne le pouvoir ? Ils

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