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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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fous.
    — Tu es un imbécile ! hurlait mon père.
    J’avançais lentement quai des Etats-Unis, c’était peut-être,
à ce point de la balustrade, qu’on avait noué leur bandeau. Je m’appuyais, le
dos à la mer. Je fermais les yeux. Naïvement, j’essayais de faire sortir de moi
la vie, de me répéter « on me vise, on me tue, on me tue ». Je ne
réussissais qu’à crisper mes muscles, à murmurer avec le fond de la gorge.
    J’ai rouvert les yeux. J’ai vu les palmiers, les clochers
au-dessus des jaunes délavés de la vieille ville, les cubes accolés des maisons
basses des Ponchettes, les barques, au liséré bleu, près de moi, leurs avirons
couchés, j’ai entendu le ressac, et lointaines au-dessus de la vague, les
mouettes griffant l’espace de courtes stridences. J’ai rejeté la tête en
arrière, la laissant ainsi peu à peu prise par le vertige, face à cette mer
suspendue que ridaient de longues traînées blanches, nuages de beau temps.
J’étais en vie. Je sautais sur la grève interdite, je lançais des galets plats
qui ricochaient d’une crête à l’autre, je m’enfuyais vers le port au moment où
j’apercevais les silhouettes des agents. Je courais sans connaître la route que
faisaient en moi des questions encore sourdes et, essoufflé, je me retrouvais
rue de la République, sous ce porche où mon grand-père Vincente m’avait tenu
par la main.
    J’entrais, je piétinais les tuiles, un tas de gravats,
j’avançais dans l’escalier, réussissant à atteindre l’appartement dévasté par
le souffle, cloisons ouvertes, plafonds crevés. Je retrouvais la cuisine, cette
place où je m’étais assis, là, non loin de l’angle du mur. Je les entendais, ma
tante Louise, mon grand-père Vincente. Elle prenait sur le balcon un saladier
de crème, et j’y plongeais l’une des gances brillantes d’huile et de sucre
qu’elle venait de faire frire.
    Pourquoi les hommes mouraient-ils ? Qui leur donnait le
droit de tuer ?
    Je m’avançais sur les poutres calcinées qui, dépassant de la
façade, avaient soutenu le balcon, je me tenais en équilibre, loin de la
balustrade descellée à laquelle si souvent je m’étais accroché. Dans mon
souvenir elle m’apparaissait si haute que je pouvais m’y suspendre, glissant
mes jambes entre les barres. J’avais grandi. Il suffisait maintenant d’une
poussée pour qu’elle s’effondre et que je tombe dans la cour. Je m’y appuyais
pourtant d’un pied, le dos contre la façade. J’allais peut-être mourir.
    Puis je suis descendu, j’ai repris le chemin de la mer et
pendant – était-ce des jours ou des mois ? La durée précise m’échappe –
longtemps j’ai été aux aguets. J’aurais voulu qu’autour de moi, mon père ou
Antoine, ou même Monsieur Baudis s’interrogent comme moi, répondent. Mais la
mort était aussi bien cachée que le sexe des femmes.
    Je me servais de Christiane pour poser mes questions. Je
l’entraînais dans ma chambre, je l’autorisais à feuilleter quelques-uns de mes
livres, puis assis sur mon lit je disais :
    — Tu sais que tu vas mourir ?
    Je répétais jusqu’à ce qu’elle m’entende, qu’elle ait envie
de crier à ma mère :
    — Maman, Roland dit que je vais mourir.
    Je m’approchais.
    — Tu es fou, répétait ma mère. Tu n’as pas honte de
jouer avec ça ?
    Je la regardais fixement :
    — On meurt tous, non ? Moi, toi, tout le monde,
papa, Christiane aussi, tous.
    Elle hurlait.
    — Mais tu as fini ?
    Elle se dérobait avec violence ou bien, quand elle était
distraite, elle disait tout en continuant à lire le journal, allongée :
    — C’est la vie, c’est pour ça qu’il y a une religion,
qu’il faut croire en Dieu. Si ton père avait été un homme normal, tu ne te poserais
pas ces questions. Tu serais croyant.
    Je la quittais. Qu’espérer de leurs fuites ?
    J’entrais dans les églises, je m’asseyais face à l’autel, ou
bien je m’agenouillais devant un christ d’ivoire, des perles rouges à son
front. Il avait la tête penchée sur le côté, vers l’épaule, comme les pendus de
l’avenue, et je retrouvais leur bouche entrouverte, la lassitude désespérée de
leur visage. Me revenaient les prières de ma tante Louise. Je n’avais pas suivi
le catéchisme, j’étais un baptisé sans communion.
    — Ta grand-mère Lisa, m’avait expliqué autrefois
Louise, elle croyait en Dieu, beaucoup. Il faut prier, ça fait du bien. Et
peut-être

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