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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Roland aussi.
    Il déchirait sans trembler l’enveloppe sur laquelle Carlo
Revelli avait inscrit à l’encre noire, et la main était ferme, les lettres
amples : Pour mon fils, à ouvrir le jour de ma mort.
    Une lettre d’il y a quelques mois, écrite d’un seul jet, un
ou deux mots seulement avaient été rayés, les autres étaient serrés et les
lignes montaient, la signature était belle, simple et nette, comme un grand
geste de la main sur une route.
     
    Pour Alexandre, mon fils.
     
    Je me souviens de la mort de mon père. Un arbre l’a
écrasé. Ce n’était pas un homme qui parlait. Il est mort au travail et le
travail a été toute sa vie. Il aurait travaillé plus pour nous. Mais le travail
manquait. Il était aussi rare qu’une pièce d’or et il a fallu que j’aie presque
vingt ans pour en avoir une, en tenir une dans ma main, à moi.
    Je voudrais comme lui mourir au travail, comme lui.
    Je t’écris parce que j’aurais aimé qu’il me parle, mais
quand je suis rentré, on l’avait déjà couché sur le lit, et mes frères et ma
mère étaient près de lui.
    Ce qu’il ne m’a pas dit me manque encore.
    Il est mort de travail et de misère. Il n’aurait pas dû
monter à cette coupe trop haute, parce qu’il était déjà vieux. Mais Luigi était
encore petit, et il fallait bien le nourrir.
    Je ne mourrai pas de misère. Toi non plus, tes enfants
non plus. J’ai travaillé pour ne pas avoir besoin des autres, pour ne pas avoir
à demander du travail ou du pain. J’ai préféré prendre et je n’en ai aucun
remords. J’ai rendu ce que j’avais pris mais même si je ne l’avais pas rendu je
n’en aurais eu aucun remords. On a pris à mon père toute sa vie et on ne lui a
rien donné.
    Je me suis fait tout seul. Peu de gens m’ont aidé. Je n’ai
pas eu le temps d’avoir des amis. Ceux que j’ai eus dans ma jeunesse, le carrier
qui m’a appris à lire, j’étais si jeune, je ne savais rien, c’était un de ceux
qui parmi les pauvres avaient des idées et refusaient de baisser la tête.
    Sans lui je n’aurais rien pu faire.
    Souvent pense à cela pour tes enfants, dans une vie c’est
la première rencontre qui compte.
    Ces amis-là, et je me souviens aussi du charpentier Sauvan
je les ai perdus.
    J’ai connu un homme juste, droit, et pourtant il était
d’une autre origine, je n’ai rien fait pour lui, mais il a fait beaucoup pour
moi. Il s’appelait Frédéric Karenberg.
    À ton grand-père Forzanengo je dois aussi. Il était comme
moi parti de rien.
    J’ai travaillé mais j’ai gagné. Je suis fier au moment de
mourir de ne pas m’être laissé écraser, d’avoir fait ce que j’ai fait.
    Je n’ai pas pu souvent te parler, à toi, à Mafalda, à ta
mère. On ne peut pas tout faire et j’avais choisi le travail. J’ai eu la chance
de vivre assez vieux pour vous voir, toi mon fils, et Mafalda, devenir un homme
et une femme, avoir des enfants. Mais je regrette aussi d’avoir oublié mes
frères, Vincente, Luigi.
    Depuis que je suis vieux, je pense souvent à notre
enfance, à mon père, à ma mère. J’étais l’aîné, j’aurais dû les aider. J’ai
travaillé d’abord pour moi. Je pouvais peut-être faire autrement, mais je n’en
suis pas sûr. J’ai toujours dû choisir et renoncer à bien des choses que
j’aimais. Tu ne sauras pas, Alexandre, combien c’est dur d’échapper à la
misère, de bâtir tout ce que j’ai bâti. Tant mieux pour toi et en même temps je
le regrette. Tu me comprendrais mieux. Toi, pense aux autres Revelli.
    Je ne fais pas de testament. Mes biens je les ai gagnés
seul. Je n’ai pas envie de les partager. Je sais que tu seras juste.
    Je ne veux pas de grand enterrement. Je veux, comme mon
père, une caisse de bois, la plus simple. Pas de plaques, de monument. Je me
souviens, comme si c’était hier, de mon père. Et je ne suis jamais retourné à
Mondovi.
    Tu te souviendras, fils, pas parce que je te laisse de la
pierre et de la terre, mais parce que tu es un bon fils et que tu sais, même si
je n’ai pas beaucoup parlé, que j’ai toujours à ma manière pensé à toi comme tu
penses à tes enfants.
    Tu es le chef des Revelli maintenant.
    Je vous embrasse tous.
     
    Ton
père.
    Carlo
Revelli
     
    Nathalie pliait la lettre qu’Alexandre lui avait tendue
avant de sortir, et elle savait qu’il fallait le laisser seul, un long moment.
22
    Jeanne avait vu Roland partir.
    Le train s’était d’abord arrêté à la hauteur

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