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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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saignée des vêtements,
ces os qui paraissaient la déchirer et avant même de parler à Mafalda, il
reboutonna la chemise et le gilet, repoussa le nœud de cravate. Sa main toucha
ainsi le cou du père, découvrit ce froid inerte qui l’avait saisi. Il se
contraignit à embrasser le front parce qu’il l’avait fait pour sa mère. Il se
souvenait encore de cette dure matière glacée que rencontraient ses lèvres.
    Le médecin ôtait ses lunettes.
    — Une mort que je me souhaite, murmurait-il en se
levant.
    Il saluait cérémonieusement Mafalda, Alexandre le raccompagnait
et là, devant la porte, il fallait le payer, toucher le cuir chaud du
portefeuille, faire glisser entre ses doigts les billets tièdes. Alexandre eut
brusquement un mouvement de révolte et de dégoût, cette chaleur de la main que
le médecin lui tendait après avoir rangé les billets, ces premiers mots de
convention :
    — À son âge, Monsieur Revelli, pour votre père, c’est
ce qu’il pouvait espérer de mieux.
    La main s’attardait, moite.
    Quand Alexandre enfin ouvrait la porte, le soleil
l’aveuglait, et passait un cycliste sur la route.
    Un corps, seul, avait été repris par le froid d’avant la
vie.
     
    Nathalie venait d’arriver avec Yves et Sonia, elle
entraînait Alexandre hors de la chambre de son père, lui caressait les cheveux.
Elle savait qu’il fallait qu’elle le recueille, l’entoure, le couvre. Elle
chuchotait :
    — Laisse-toi aller.
    Elle aurait voulu qu’ils puissent tout de suite s’allonger
l’un contre l’autre. Elle aurait placé ses deux mains sur la nuque d’Alexandre,
l’obligeant à enfouir son visage entre ses seins. Elle l’aurait aussi serré
avec ses jambes, et peu à peu, elle lui aurait donné de sa force, de la volonté
brûlante qu’elle avait de le voir vivre.
    Elle s’étonnait de cette résolution, de son courage. Elle
avait été capable de regarder Carlo, de le toucher, de sentir sous ses doigts
le duvet argent des joues mortes. Elle avait accompagné Sonia au Jardin.
    — Ne fais pas de bruit, murmurait-elle à sa fille,
cueille des fleurs.
    Elle préparait du café, en apportait une tasse à Mafalda qui
était assise à la tête du lit et qui priait. Dans la cuisine elle posait une
tasse devant Alexandre.
    — Bois, c’est chaud, disait-elle. (Puis plus bas.)
Laisse-toi aller.
    Mais peut-être était-ce trop tôt encore.
    Le deuil s’étend peu à peu, comme le gel, une tache d’abord.
Nathalie connaissait son cheminement depuis le jour où elle avait appris que,
sur les marches de l ’Hôtel Impérial, ils avaient arrêté Gustav
Hollenstein, qu’ils l’avaient poussé dans une voiture aux roues jaunes et elle
ne l’avait plus revu. Le gel gagnait encore, aujourd’hui, tant d’années plus
tard. Il restait toujours une zone où il pouvait s’insinuer, une nuit, un
moment d’insomnie et il avait saisi un souvenir, devenu roide, douloureux.
    — Bien sûr, dit Alexandre, il fallait bien, n’est-ce pas ?
    Il buvait le café et Nathalie remplissait à nouveau la
tasse, s’asseyait en face de lui, lui prenait les poignets, les serrait. Elle
se sentait plus forte, elle avait la résistance de l’eau qui se déchire et se
renferme. Elle était morte avec son père et avait revécu avec la naissance de
Sonia ou l’amour qu’elle portait à Yves, issu d’elle aussi. Deux vies. Derrière
les vitres de la cuisine, elle apercevait Sonia, penchée, dans les planches,
au-dessus des fleurs.
    Alexandre allait avoir si mal, plus qu’il n’imaginait, plus
qu’elle n’avait souffert et pourtant cette glace en elle qu’il fallait
contenir. Mais Alexandre avait pris l’habitude folle – qui peut la refuser –
de croire que Carlo Revelli demeurerait toujours entre lui et la mort. Les
années s’étaient ajoutées aux années, le père survivait et le fils restait un
fils alors que déjà il avait franchi la ligne de crête, qu’il était sur le
versant sombre. Il s’approchait du vide et tout à coup le père s’effaçait comme
un appui qui cède. Alexandre allait comprendre qu’il marchait depuis longtemps
déjà, qu’il avait maintenant atteint le bord.
    Il fit face pourtant.
    Nathalie aimait qu’il dissimulât ainsi son vertige, qu’il
réussît à sourire à Yves et à Sonia, à téléphoner à Gili :
    — Pour l’entrepôt, bien sûr, rien n’est changé, je
passerai, peut-être pas autant que mon père, mais je serai là quand il faut.
Voyez

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