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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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la hargne de
Roland. Robert Merani brandissait son diplôme d’architecte aux réunions de
chantier : « Le point de vue de l’homme de l’art », disait-il et
la phrase frappait Roland comme une lanière.
    — J’en ai marre de tous ces cons, répétait-il le soir.
    Il marchait dans l’appartement, il refusait de dîner,
brisait un morceau de pain, coupait une part de fromage, jetait un coup d’œil vers
la table mise, les plats que Jeanne avait préparés, qu’elle n’avait plus de
goût à manger. Elle sentait bien que s’asseoir à table, en face d’elle, se
laisser servir, c’eût été pour Roland l’accepter, admettre qu’il était son
mari, qu’ils formaient un couple qui partage le pain.
    Il voulait demeurer seul et la naissance d’Elsa n’avait rien
changé entre eux. Il aimait pourtant sa fille, tendre avec elle comme s’il
avait voulu montrer à Jeanne ce qu’il lui refusait.
    Au mariage d’Edmond, il avait gardé Elsa sur ses genoux
durant tout le repas. Il était assis non loin de la sœur de la mariée, une
brune aux cheveux bouclés, au teint mat, qui se penchait vers Elsa,
l’embrassait. De sa place, Jeanne imaginait que Roland devait, tout en jouant
avec Elsa, voir les seins de cette femme volubile.
    Ce jour-là, sous la treille du restaurant de Saint-Isidore,
Jeanne brusquement s’était sentie elle-même, comme si autour de son corps un
vide s’était creusé, la laissant droite, inaccessible. Les autres, tous, sa
belle-mère qui devait raconter une fois de plus sa vie à sa voisine, tous,
Roland parmi eux, étaient de l’autre côté, lointains, faisant désormais un
siège inutile.
    Jeanne avait commencé à parler :
    — Vous êtes des rapatriés ? demandait-elle à la
mariée.
    Sans doute avait-elle parlé fort puisqu’ils se taisaient un
instant, tous. Jeanne se levait alors, s’approchait de Roland, prenait Elsa
retournait s’asseoir à sa place.
    — Je me souviens, continuait-elle, quand Roland a été
rappelé, à la gare les soldats ont essayé d’arrêter le train. La guerre
d’Algérie, ici, ce n’était pas très populaire.
    Elle tenait Elsa par la taille, lui embrassait les cheveux.
    — Elle est née juste après, continuait-elle. Vous êtes
mieux qu’en Algérie ici, non ? Il n’y a plus que des pieds-noirs, et vous
retrouvez même les Arabes. À l’entreprise, presque tous les terrassiers sont
algériens et dans notre quartier, les commerçants sont pieds-noirs.
    — Alors vous ne nous aimez pas ? lançait
quelqu’un.
    — Mais non, disait Dante. Vous êtes des émigrés, comme
nous. Il y a les riches, les pauvres. À Oran, en 36, tout le monde a voté pour
le Front Populaire, il paraît.
    Jeanne s’approchait d’Edmond et de sa femme, les embrassait :
« Beaucoup de bonheur », disait-elle, puis portant Elsa, elle s’éloignait
de la table, traversait la route qui longeait la terrasse du restaurant,
s’asseyait au milieu d’une terrasse plantée d’oliviers.
    Elsa se mettait à jouer, s’allongeait, riait sans raison
autre que de sentir la terre tiède contre son dos, de voir le vert tendre des feuilles
d’olivier. Jeanne posait sa main sur la poitrine de sa fille, l’embrassait, la
caressait de ses cheveux, couvrait de son corps Elsa, chaton blotti contre sa
mère.
    Jeanne se redressait, étourdie par le rire, la chaleur,
peut-être le vin. Elle était surprise de découvrir Christiane à demi allongée
près d’elle, appuyée sur les coudes.
    — Te voir, disait Christiane, me donne envie d’un
enfant.
    Christiane fumait, observait Jeanne qui retrouvait sa
timidité, secouait sa jupe à laquelle des brins d’herbe s’étaient accrochés.
    — Tu sais, commençait-elle, un enfant.
    — Tu n’as pas confiance en toi, reprenait Christiane en
l’interrompant, pourquoi ? Roland ne vaut pas mieux que toi. Tu t’inclines
toujours. Tu te tais quand il parle. Tu as ta vie à faire, tu ne crois pas ?
    Jeanne rougissait, soulevait Elsa, la plaçait sur ses
genoux, pour se protéger, se rassurer aussi.
    — Je me suis arrêtée de travailler, répondait-elle.
    — Je connais Roland, il faut que tu deviennes toi, toi.
Il faut lui résister.
    Jeanne baissait la tête, cette sensation qu’elle avait eue,
ce fossé autour d’elle qu’ils ne franchiraient plus, peut-être le début.
    — Tu as jeté une bombe, tout à l’heure, continuait
Christiane. Ma mère est hors d’elle, mon oncle Antoine s’amuse, mon père

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