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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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sale, couvert de sueur, d’odeurs, d’une couche épaisse de
crasse comme une peau vieillie. Il s’approcha du rivage, se déshabilla
lentement et s’avança dans l’eau jusqu’à ce qu’elle recouvrît son sexe, il
s’accroupit, se plongea jusqu’aux épaules en se frictionnant dans la mer qui
lui parut à peine fraîche, puis ruisselant, il resta assis sur la grève, se
séchant avec sa chemise roulée en boule, partant pour le chantier au premier
coup de six heures à l’horloge de la cathédrale Sainte-Réparate. Depuis ce
matin-là, il attendait que le chantier s’achève, il avait décidé d’attendre
mais il n’avait pas appris la patience. Alors il travaillait vite, comme s’il
avait eu le pouvoir à lui seul d’accélérer les travaux, ne gagnant à ce rythme
qu’il s’imposait qu’une fatigue bienvenue qui le terrassait le soir et aussi
cette haine des autres, les maçons, les terrassiers du chantier, qui devaient
suivre, pour utiliser, avant qu’il ne durcisse, le mortier que d’un mouvement
brutal, Carlo versait près d’eux.
    Mais couvrir le lit du Paillon était une longue entreprise
et les semaines passaient. Pas d’enquête, un vol sans suite, et s’il n’y avait
eu cette pièce de bois que Carlo soulevait parfois, hésitant à l’ouvrir, il
aurait pu croire qu’il avait imaginé cela, les aboiements du chien et la
silhouette qui courait entre les palmiers puis s’était avancée au milieu du
boulevard. Un jour, vers la fin de l’après-midi, Forzanengo avait interpellé
Carlo : « Toi, le grand, viens ici. »
    Forzanengo était assis derrière une table grossière,
couverte de plans, parsemée de traces de mortier séché.
    — Tu étais où avant ?
    Forzanengo regardait Carlo en tambourinant sur la table de
ses doigts crevassés de maçon, les phalanges plates, comme écrasées, semblables
à des spatules. Carlo répondit.
    — Chez Gimello, reprit Forzanengo, c’est un bon patron,
pourquoi tu l’as quitté ? Tu voulais monter ?
    Forzanengo se leva, secouant la poussière qui couvrait sa
veste de velours.
    — Tu sais que les autres t’aiment pas ici. Moi, je dois
tous savoir et je sais qu’ils t’en veulent. Tu travailles trop vite. Seulement,
si eux, ils t’aiment pas, moi je t’aime bien.
    Il se mit à rire, donna une bourrade à Carlo qui eut envie,
une envie de tout le corps de lancer son poing au milieu du visage de Forzanengo
large, le nez épaté, la peau presque noire de ceux qui ont passé leur vie au
milieu de la terre et des pierres.
    — C’est comme ça. Continue et à la fin du chantier, je fais
quelque chose de toi.
    Mon cul. Putana de vie.
    — Qu’est-ce qu’il t’a dit ? demandait Jouanet, le
soir. Il te l’a promis ?
    Carlo était allongé, il avait envie de tenir à bout de bras
une pelle et de faire des moulinets autour de lui, le tranchant du métal,
zébrant l’air, abattant les madriers d’un échafaudage, cisaillant de jeunes
arbres, couchant d’un seul coup Forzanengo sur le sol.
    — Tu réponds même plus, continuait Jouanet, hé Revelli,
tu te vois déjà avec le sifflet entre les dents.
    Carlo bondit vers Jouanet, le saisit par la chemise, le
souleva du lit sur lequel il était assis et commença à le secouer. Il dépassait
Jouanet de la tête. Sauvan se précipita, donnant un coup sec du bord de la main
sur l’avant-bras de Revelli. Carlo lâcha Jouanet qui grommelait.
    — On peut plus rien dire entre copains.
    — Viens, dit Sauvan.
    Carlo hésita puis il suivit Sauvan. Ils marchèrent le long
des quais du port puis prirent la rue Emmanuel-Philibert, plantée d’acacias. Au
bout de la rue, on apercevait la place Garibaldi et la statue du héros niçois
qu’on avait inaugurée l’année précédente, Merani prononçant un discours : « Vive
le Paladin des temps modernes, vive le chevalier de la Justice et du Droit,
Vive la France, vive l’Italie. » Les becs de gaz dessinaient autour de la
statue une étoile de lumière jaune aux rayons inégaux et l’un d’entre eux
s’enfonçait dans la rue Emmanuel-Philibert, jusqu’à Carlo et Sauvan.
    — Qu’est-ce que tu crois, disait Sauvan, qu’ils vont
rester avec toi ? Tu as choisi, Revelli.
    — J’ai choisi de pas crever comme un mouton.
    — T’as choisi de pas crever avec eux, et ça, même s’ils
savent rien, ils le sentent. Ils sont pas cons, Revelli, et il est pas con, Jouanet.
Ces choses-là ils les comprennent, même s’ils savent

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