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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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dans le tronc d’un arbre. Le vénérable Bertagna, cet
avocat bouffi, qui prenait le bruit des mots pour de la pensée, Merani,
arrogant, tout étonné encore de ses succès politiques, étaient pourris par les
projets. L’un, qui sait, pourrait un jour être Grand Maître de l’Ordre ou Maire
de Nice, l’autre, pourquoi pas ministre. Et le voleur tendait sa gueule vers le
piège pour essayer d’arracher un morceau de l’appât. Ils étaient encore
couverts de cette mousse qu’on nomme l’ambition ou le désir. Karenberg
l’ancêtre, le soudard balte au casque grimaçant avait à coups de glaive réalisé
ses projets. Taillé le fief dans les terres plates des rivages du Nord.
Karenberg le conseiller du Tsar signait les traités, rencontrait
Napoléon-le-Grand, au milieu du Niémen, d’autres Karenberg avaient acheté des
architectes italiens, des musiciens viennois, des femmes. Ils avaient joué du
marbre et de la chair. Puis la cendre, cette pluie grise tombant sur leurs
châteaux, sur les arbres de Semitchasky, comme la neige, et le dernier
Karenberg s’assied à l’angle sud du forum, attend que se lève l’aube sur le
Vésuve. Helena stérile et moi, curieux, seulement désireux de suivre le chemin
de chaque brin.
    Frédéric Karenberg se lève, va à son bureau. Ce journal
qu’il tient depuis qu’il a quitté la Russie, qu’il vit par le regard, par
l’écho en lui de la terre qui tremble. Cette Russie qu’il sent bouger, qu’il voudrait
voir crever comme le flanc d’un volcan, rougeoyant tout à coup de la lave qui
sort. Pourquoi écrire, pour lui ? Façon de suivre les brins. Parfois,
quand il se laisse prendre à la phrase, Karenberg change de ton, sa voix
s’enfle comme celle d’un chanteur qui peu à peu s’assure.
    « Si les forces qui en chaque individu, écrit-il ce
jour-là, le poussent à l’action, si le courage qu’il faut pour s’introduire
dans cette bibliothèque, si l’ambition de Merani ou de Bertagna, et même le
goût de la fortune, si tout cela pouvait être fondu comme ont fondu les pierres
sous la chaleur souterraine tout à coup répandue, alors un ordre neuf comme un
grand fleuve russe quand la débâcle au printemps le grossit, pourrait entraîner
l’histoire des hommes, à nouveau. Et même moi, je serai pris, par sa coulée.
Mais il faut d’abord que commencent les temps de la lave. Viendront-ils ces
purificateurs armés du feu ? D’où pourraient-ils surgir sinon du peuple
barbare, profond, obscur comme les entrailles volcaniques ? »
    — Tu es là, demanda Helena.
    Karenberg ferma le cahier.
    — Mon journal, dit-il.
    Helena était en peignoir, les cheveux blonds défaits, si
grande d’être maigre.
    — J’ai entendu du bruit, dit-elle, le chien a aboyé, je
suis restée réveillée, finalement je me suis levée. Je dors mal.
    Depuis toujours ils avaient l’habitude de parler français,
entre eux. Helena s’assit de l’autre côté du bureau.
    — Tu es sortie, demanda Karenberg.
    — J’ai jeté quelques plaques, j’ai gagné, je gagne tu
le sais, c’est désespérant. La comtesse d’Aspremont a voulu m’entraîner, elle
est folle.
    Helena se leva, fit quelques pas sur la terrasse, s’appuyant
à la balustrade, revint vers son frère.
    — Je veux mourir, Frédéric, dit-elle tout à coup, sans
hausser le ton, résolument.
    — Petite sœur.
    Il alla vers elle, la prit par l’épaule.
    — Qu’est-ce qu’il y a, petite sœur.
    Il avait peur de l’écouter, elle parlait d’une voix qui
murmurait en lui, si douce, voix étouffée, tiède comme un oreiller de duvet.
    — Je veux mourir Frédéric, ils m’ennuient tous.
    — Nous vivons, petite sœur, nous vivons, regarde.
    De la terrasse, ils apercevaient la masse trapue des arènes
et au delà, quadrillée par le tracé lumineux de quelques avenues, la ville, et
la mer, laque miroitante.
    — Nice, continua Karenberg, sais-tu, c’est Nikaia, les
Grecs, leur victoire, puis Rome, tu es ici, vivant après des millénaires.
    Il se tut, il parlait comme un avocat, les mots étaient des
outres vides.
    — Je sais, reprit-il à voix basse. Je te comprends
petite sœur. Les choses glissent entre nos mains. Nous n’avons plus de griffes,
nous ne savons plus les retenir. Voilà ce que tu sens. Mais cela aussi c’est la
vie.
    Helena se colla contre lui. Il sentait son épaule grêle.
    — Nous ne vivons plus, dit Helena.
    Elle soupira, s’écarta de lui.
    — Je

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