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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Semitchasky où sa mère faisait mine de ne
rien comprendre, – et peut-être vraiment n’avait-elle pas deviné – Catherine
le raccompagnait. Il était devenu son confident, elle était sa maîtresse, au
sens le plus fort, le guidant, l’aidant à s’interroger et à comprendre. Elle
avait dîné à Pétersbourg avec un général, ami de son mari, responsable de la III e Section de la Police secrète. Elle s’indignait : ils ont des espions
partout, ils achètent les hommes, ils les tuent.
    « Ce comte Tohnlehm, Frédéric, tu l’as vu chez moi, eh
bien il travaille pour eux à Paris, à Genève, à Nice. Chaque semaine il envoie
son rapport. Voilà la Russie Frédéric, je la hais cette Russie-là. »
    Ce souvenir de Catherine Petchera qui revenait à Frédéric
Karenberg parce que la comtesse d’Aspremont était comme elle l’une de ces
femmes qui avaient refusé d’être des reflets, qui se donnaient un visage. Ce
commissaire aussi dont parlait la Comtesse. La France était l’alliée de la
Russie, et les polices, bien sûr, collaboraient. Un dossier à Pétersbourg au
nom des Karenberg devait se gonfler de notes, de renseignements.
    Frédéric Karenberg écrasa son cigare sur la balustrade. Il
avait vu Catherine pour la dernière fois, il y avait une dizaine d’années. La
baronne Karenberg avait décidé, sans doute pour rompre cette liaison qui durait
depuis trop longtemps, d’envoyer Frédéric à Vienne. Il avait vingt ans. On
venait d’assassiner le tsar. La Baronne craignait que son fils ne soit
définitivement corrompu par les idées nouvelles. Et Catherine était le poison.
    Nuit de séparation, par les fenêtres ouvertes de la chambre,
l’odeur de l’herbe sèche, qu’apporte chaque rafale de vent. « Va »,
disait Catherine. Il refusait de partir. La tête posée sur ses genoux, il sanglotait.
    Il ne se souvient plus de son visage mais encore de cette
odeur de foin et de la main qu’elle passait dans ses cheveux. Il fallait bien
partir.
    Qui donc lui avait dit, quatre ou cinq ans plus tard, alors
qu’il vivait à Aix avec sa sœur, que Catherine Petchera était morte bêtement,
une barque qui renverse et cette robe blanche qui gonfle comme une fleur avant
de disparaître dans le lac ?
    Karenberg revint dans la bibliothèque. Il ferma la
porte-fenêtre. Il aimait se trouver ainsi dans l’obscurité, les livres formant
autour de lui comme une forêt ou une foule fraternelle. Il lui fallait leur présence
silencieuse pour qu’il osât à son tour, ouvrir ce cahier, prendre la plume,
ajouter quelques mots à son journal, écrire ce soir : « Le souvenir
de Catherine Petchera voici qu’il est revenu. Elle est la neige brûlante de
froid, la Russie qui me manque avec ses terres qui ondulent dans la brume d’été
comme la mer ici, car la Russie est le pays où la terre devient océan. Ailleurs
chaque espace a sa limite. Seule la mer me rappelle le sentiment que
j’éprouvais. J’essayais d’atteindre les limites de notre parc à Semitchasky et
je ne parvenais jamais qu’à une butte derrière laquelle recommençait la plaine
ou la forêt. Il me semble que c’est cela qui nous habite, nous autres Russes,
nous qui sommes des navigateurs terriens, nous avons besoin d’être dévorés par
quelque chose qui n’a pas de fin. Mystique, politique ou passion, nous sommes
les fils d’un océan continental. »
    Karenberg referma son cahier. Il en était réduit depuis
qu’il avait quitté Catherine à soliloquer. Helena était trop frêle pour porter
les mots qu’il aurait pu lui dire. D’ailleurs entre eux, à quoi bon parler ?
Il suffisait qu’il la prenne contre lui, qu’il dise « petite sœur »
et qu’elle se laisse aller, pour qu’ils sachent à quel point l’un et l’autre
étaient parvenus de leurs pensées. Mais souvent Karenberg éprouvait le besoin
de trouver un interlocuteur, de briser avec sa voix, une autre voix. À Aix il
avait accepté dans cet espoir d’être affilié à la franc-maçonnerie. Le
conservateur du Musée et un professeur d’histoire romaine avaient été ses
parrains. Durant quelques semaines il avait connu une excitation intellectuelle
à la pensée qu’enfin il entrait dans une société secrète, qu’il allait courir
un danger, comme ces décembristes qu’on avait déportés en Sibérie ou ces
conspirateurs que l’on avait pendus parce qu’ils avaient essayé d’abattre le
tsar. Peut-être aussi pourrait-il trouver des

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