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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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lui
prendre. Pourtant il avait peur. Elle était comme ces trous qu’on creuse dans
les carrières et qui se remplissent d’eau, on la vide, elle revient, on
recommence, l’eau est là à nouveau et parfois cela dure toujours, il faut
s’arrêter, l’eau venue d’on ne sait où reparaît empêchant le travail. Helena
qu’il portait jusqu’au lit, qu’il caressait, et il n’avait pas cru qu’il
existât une peau si blanche, si lisse, qui cambrait et dont il sentait les
doigts sur son dos, se crispant sur ses reins, Helena disait « Allez-vous-en,
allez-vous-en ». Et il craignait qu’elle ne revienne plus, il s’éloignait,
il se cachait dans la cuisine se dissimulant derrière les volets pour la
regarder courir dans la rue, se dirigeant vers l’église du Port. Il revenait
dans la grande salle, s’asseyait en face de Madame Oberti qui poussait vers lui
un verre, le remplissait de vin.
    — Tu perds la tête, Revelli, disait-elle.
    Elle avait devant elle un jeu de cartes, les soulevant l’une
après l’autre.
    — Celle-là…
    Elle s’interrompait pour chercher une carte.
    — Quoi celle-là ? demandait-il.
    — Tu sais bien, tu la tiendras pas.
    — Vous êtes vieille, disait Carlo, vous comprenez plus
rien.
    Il se levait comme s’il avait peur que Madame Oberti ne lise
son avenir ou ne lui jette un sort.
    — Tu es pas jeune non plus, répondait-elle.
    Il s’éloignait, il hésitait sur le pas de la porte.
    — C’est comme si avec toi elle buvait ou comme si elle
jouait à la roulette, continuait Madame Oberti, ça la chauffe, ça lui fait
peur, un jour elle s’arrêtera de jouer ou de boire, et toi tu resteras comme un
pieu, tout seul.
    — Putana, disait Revelli à voix basse.
    Pour qui ?
    Il allait voir Forzanengo. Âprement, il discutait du prix du
sable et apprenait à se lever, à claquer la porte pour que Forzanengo lui crie :
    — Ça va tête de mule, viens ici.
    Ils se serraient la main pour un nouveau contrat. La
tuilerie commençait à peine à produire et déjà il fallait l’agrandir. Au nord,
au delà de la place Béatrix, en direction de la colline de Gairaut, les terrains
maraîchers commençaient à être lotis. Les tramways électriques favorisaient
l’extension de la ville, de nouveaux immigrants arrivaient, peuplant le Vallon
Obscur, celui de la Madeleine ou de la Mantega, toutes ces percées sombres que
les torrents avaient creusées dans les alluvions caillouteuses de la région
niçoise. Du côté de l’est, les maisons basses qui ressemblaient aux fermes du
Piémont avec leurs cours intérieures, leurs porches, les balcons, étaient
remplacées, entourées par des immeubles de quatre ou cinq étages de ciment gris
où s’installaient les derniers arrivés, ceux qui venaient par la route de
Turin, par le chemin de fer, Italiens de provinces plus lointaines que le
Piémont, la Romagne ou les Abruzzes. Ils étaient montés du sud vers le nord de
la péninsule, les yeux creusés par la sous-alimentation, mais la Lombardie
était pleine déjà, les carabiniers et l’armée dans les rues de Milan en 1898,
avaient tiré sur la foule qui brandissait sa faim comme un étendard rouge et
noir. On avait fait donner le canon et les cuirassiers, la crinière de leur
casque soulevée par le vent de la charge, avaient sabré la racaille grise qui
glissait sur les pavés en s’enfuyant. Il leur fallait partir. Les ponts des
voiliers à Gênes ou à Naples se couvraient d’une foule humble et nostalgique,
d’où parfois s’élevait un chant. Les femmes étaient tassées sous leur châle
noir, les hommes accrochés aux cordages saluaient cette terre italienne douce
et cruelle, les maisons ocre et les champs plantés d’oliviers. Des millions
d’immigrants partaient pour l’Amérique.
    Ceux qui arrivaient à Nice, qui découvraient cette ville, ce
pays, si proches des leurs, baissaient la tête sous les injures pour rester là,
acceptaient souvent de travailler pour quelques sous, et Carlo Revelli ou
Forzanengo les embauchait. Il suffisait de leur donner une pioche, une truelle,
pour qu’ils remercient déjà. Le travail, c’était un cadeau ; ils étaient
dociles, durs au labeur. Ils craignaient l’expulsion et ne protestaient jamais.
    Carlo, quand il les voyait courbés dans les tranchées, ou
bien les bras dressés, envoyant à toute volée le plâtre d’un geste de semeur,
avait envie de se joindre à eux, et parfois, quand il fallait pousser

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