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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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direction.
    Qu’ils crachent, qu’ils gueulent.
    Forzanengo avec qui il travaillait, lui avait dit : « Moins
ils t’aimeront, et mieux ça ira pour toi, seulement, c’est pas facile de supporter
ça, il faut en avoir là » et Forzanengo faisait un geste obscène.
    « Y en a qui veulent qu’on les aime en plus,
continuait-il, crois-moi, c’est pas possible, c’est eux ou toi, tu choisis. »
    Carlo avait choisi. Quand en 96 les plâtriers de l’hôtel
Regina s’étaient mis en grève, qu’ils restaient sur les échafaudages, assis,
les jambes pendant dans le vide, Forzanengo l’avait fait appeler.
    — Tu veux que je t’achète du sable, Revelli ?
    Forzanengo, son chapeau de feutre enfoncé horizontalement,
couvrant presque les sourcils répétait :
    — Tu veux ? Mais qu’est-ce que tu me donnes, du
sable, moi de l’argent et tu crois que ça suffit, ici, y faut toujours quelque
chose en plus. Tu vois…
    Il se levait, envoyait sur la table une enveloppe.
    — Ça c’est l’adjudication pour les travaux
d’élargissements de la Promenade, tu peux faire fortune, tu travailleras avec
moi, tu pourras vendre ton sable pendant quatre ans, et je te signe un contrat,
seulement moi, moi…
    Il se frappait la poitrine, il faisait une moue de mépris, comme
s’il allait cracher.
    — Moi, je suis fils de terrassier, et ces messieurs à
la mairie, ils ont les mains blanches, ils se sont jamais cassé un ongle, tu comprends,
seulement je les paie, je leur donne comme à des mendiants et eux ils me
donnent les travaux. Moi avec toi c’est pareil, tu connais les chantiers,
trouve-moi des plâtriers, finis-moi le travail à l’hôtel Regina et on marche
tous les deux…
    Carlo avait trouvé des plâtriers. Il était monté sur les
échafaudages de l’hôtel Regina, les grévistes l’insultant, Sauvan l’attendant,
le soir, s’avançant vers lui, marchant à ses côtés sur le boulevard de Cimiez,
et ils n’échangeaient pas un mot. Ils arrivaient au-dessus du tunnel, là où la
trouée de la voie ferrée, comme une vallée conduit à l’horizon et à la mer.
C’était l’époque du solstice, des lentes hémorragies qui rougissent le ciel.
Sauvan prenait le bras de Carlo, le forçait à s’arrêter.
    — Tu sais ce que tu fais ? Tu sais ?
    — Écoute-moi Sauvan.
    Carlo recommençait à marcher.
    — Le vol, disait-il, partout, tu comprends. Il y a les
volés et les voleurs, les petits voleurs et les gros. Je veux pas être un volé,
Sauvan, toujours. Ça suffit pour les Revelli, ça suffit Sauvan, plutôt je
crève.
    — Tu as volé.
    — Dénonce-moi, vas-y.
    Sauvan haussait les épaules.
    — Il le sait, il s’en fout.
    — Je lui rendrai tout.
    — Ne rends rien et laisse les gars se battre, vole mais
ne sois pas contre eux.
    Sauvan élevait la voix, prenant les deux bras de Revelli,
les secouant.
    — Tu peux faire ta pelote sans leur taper dessus, tu comprends ?
    — Il faut, répétait Carlo, je peux pas faire autrement.
    Sauvan, tout à coup, s’était calmé.
    — Tu as peut-être raison, salut Revelli.
    Carlo avait laissé Sauvan s’éloigner puis sans trop savoir
pourquoi, il avait remonté le boulevard. Devant le chantier de l’hôtel Regina,
deux agents stationnaient, interrompant leur conversation quand Carlo passait,
le suivant des yeux, mais il continuait, se dirigeant vers les arènes, le
monastère et bientôt longeant la grille de la villa Karenberg. Ils devaient dîner
sur la terrasse. À travers le mur des cyprès, Carlo voyait trembler la lumière
des lampes, il entendait des bruits de voix. Elle devait être là, les mains
posées sur la nappe blanche et brodée. Carlo s’arrêtait, s’éloignait, ce qu’il
imaginait d’elle, c’étaient les seins, à peine marqués. Plus tard il retrouvait
l’Anglaise du bordel, assise sur le lit, et il lui jetait l’argent, sans la
baiser. Il ressortait, ignorant les questions de Madame George, passant devant
le poste de police, où quelques soldats en faction, leurs longues baïonnettes
accrochées au ceinturon, surveillaient les permissionnaires venus des casernes.
L’Anglaise, une autre Maria, les danseuses du café de Turin, ces femmes se
ressemblaient toutes, des sacs de sable qu’on prenait contre soi, qu’on
pétrissait à pleines mains. Du sable mouillé, de la boue. L’autre, c’était de
la pierre, blanche et lisse comme du marbre.
    Les plâtriers de l’hôtel Regina cessèrent leur grève,

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