No Angel

moment silencieux.
    Finalement, alors que les derniers lambeaux du blouson du Mongol disparaissaient dans le ciel nocturne, Joby dit :
    — Jésus hait les gonzesses… Pops.
    On répéta, Timmy et moi :
    — Jésus hait les gonzesses.
    J’étais sérieux. Joby aussi. Il aimait Pops et il nous aimait. Ce fut à cet instant précis que je compris que Joby ne me tuerait pas. Mais je compris aussi que Jay Dobyns était mort. Seul Bird était encore en vie.

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COUP DE FILET
    Fin juin-début juillet 2003
     
    Je n’étais pas un ange. Le meurtre du Mongol n’était pas aussi simple qu’il y paraissait. J’avais menti, et quel mensonge ! J’avais atteint le sommet de mes compétences : tromper était devenu ma marque de fabrique. Comme l’eau qui s’insinue dans une craquelure, gèle et la transforme en fissure, la tromperie était entrée dans les failles de ma personnalité et les avait dévoilées. J’avais l’impression d’être un soldat qui a pris l’habitude de tuer… qui, même, espère pouvoir le faire. Au début de ma carrière, tromper les gens me mettait mal à l’aise, mais, à l’époque où les Hells Angels m’ont accepté, mon aptitude à la tromperie en était venue à définir tout mon être. Je ne me considérais pas comme un menteur… mentir était simplement le moyen de bien faire mon travail. Néanmoins, j’étais un champion du mensonge. Je ne mentais pas seulement à ceux que je devais compromettre et démasquer, je mentais à tout le monde, y compris à moi-même. J’étais infiltré depuis trop longtemps et mes expériences m’avaient altéré d’une façon obscure, mais fondamentale.
    Cependant une chose était vraie : quand Joby nous avait emmenés dans les montagnes, j’étais convaincu que j’allais mourir, je le souhaitais même. Mais il n’était pas vrai que j’avais tué. En fait, recevoir une balle aurait été trop facile et en tirer une trop problématique.
    Ce n’était pas sans raison que le feu, dans la clairière du bois de trembles, sentait la côte d’agneau. Le sang, la peau et la cervelle répandus sur les vêtements du Mongol appartenaient à un agneau, pas à un homme. Alors que la disparition de ma conscience était réelle, le meurtre était une mise en scène.
    Shawn Wood, agent du service de la sécurité publique, vêtu d’un blouson authentique saisi par l’ATF dans une autre affaire, était notre Mongol. Il était resté allongé, immobile, dans la tranchée, sous un soleil de plomb, tandis que Jerry Laird, détective de la brigade criminelle de Phoenix, répandait du sang et de la cervelle sur sa tête et son torse. Il était resté dans cette position tandis qu’on se photographiait, Timmy et moi, faisant semblant de le tuer. Puis il s’était relevé, et Timmy, Woody, JJ et moi on avait pris des clichés pour la postérité. Ensuite, on tira sur le blouson de Pops – Pops était en vie, définitivement hors de l’affaire, de retour auprès de sa famille – puis on s’entassa dans le pick-up et on alla profiter de l’happy hour. Tout ce scénario se déroula à une trentaine de kilomètres de Phoenix.
    Après la livraison et la destruction des preuves, de nombreux coups de téléphone furent échangés entre moi et Bad Bob, Teddy, Bobby, Joby et Smitty. Le 30, en compagnie de JJ et de Timmy, j’allai à Skull Valley pour mettre les choses au point. Ça ne plut pas à Teddy et aux autres, mais ils n’étaient pas non plus très fâchés. On nous annonça que nous ne deviendrions pas encore membres à part entière, même si les pontes locaux avaient pris notre parti. Le problème remontait à Laughlin – j’avais l’impression que tous mes problèmes remontaient à Laughlin –, époque à laquelle, après la bagarre, plusieurs Angels avaient rapidement reçu leurs insignes. Ça avait foutu les Angels européens en rogne. Ces types attaquaient leurs rivaux au lance-roquette, faisaient sauter des clubhouses, et aucun d’entre eux n’obtenait rapidement ses insignes. On nous expliqua que les Européens étaient tout simplement plus nombreux que les Américains et que nos gars n’étaient pas prêts à marcher sur les pieds de leurs homologues du Vieux Continent. On nous indiqua que nous obtiendrions probablement nos insignes au Rassemblement mondial de Laconia, deux mois plus tard, mais qu’il n’y avait aucune garantie ; dans le cas contraire, ce serait dans neuf mois. Selon Teddy c’était sans