No Angel
j’envoyai à tous les membres de l’équipe un e-mail où je m’excusais d’avoir été Bird. J’avais laissé la mission prendre le dessus sur moi et cru qu’ils me soutenaient, alors qu’ils faisaient simplement leur devoir.
Ce fut à cet instant que je pris conscience de ce que j’avais fait. Les dégâts ne se limitaient pas à mes collègues. Je savais que j’avais accompli une tâche réputée impossible… Sonny Barger lui-même affirmait que les forces de l’ordre ne pourraient jamais infiltrer son club. Tout en me conduisant mal à l’égard de ma famille, de mes collègues, de mes amis, j’avais eu la naïveté de penser qu’ils me soutiendraient justement parce que la tâche était considérée comme impossible. Je me trompais complètement. Le soir où j’étais arrivé au sommet – quand Joby avait posé le blouson sur mes épaules et que j’avais refusé – aurait dû être aussi le moment où tous ceux qui étaient de mon côté pouvaient enfin fêter l’événement. Mais au lieu d’être là et de me soutenir, ils étaient loin et souffraient, me suppliaient de redevenir l’homme que j’avais été. J’eus l’impression de les avoir bombardés au napalm. Le soir où j’obtins ce que je désirais tant ne fut pas une soirée de fête. Ce fut celle où je me sentis plus seul que jamais.
Au cours de l’été 2004, les Hells Angels lancèrent deux menaces de mort contre moi et ma famille. Dans les années qui suivirent, ils en lancèrent trois autres. Ce qu’ils affirmaient vouloir nous faire n’était pas joli et m’angoissa. Je fis souvent le cauchemar où Bobby et Teddy m’arrachaient la langue. Quand je recevais la visite des gars, je ne pouvais que me réveiller, aller dans la salle de bains et me passer de l’eau sur le visage.
J’avais hérité la paranoïa intense des Hells Angels. Je voyais des menaces partout. Un homme dans une voiture garée trop longtemps au coin de notre rue devenait un espion des motards. Des animaux dans notre jardin se muaient en équipe de tueurs à gages. Plus d’une fois je bondis hors du lit, pris mon fusil, parcourus la maison et le jardin en sous-vêtements.
L’ATF ne prit pas ces menaces au sérieux. Comme je ne me sentais pas en sécurité et que mon employeur m’abandonnait, j’emmenai ma famille sur la côte ouest. Fuir ne servit à rien. Ma paranoïa grandit, d’autant plus que l’ATF refusait d’admettre que j’étais effectivement en danger de mort. Mes supérieurs minimisèrent mes craintes et réduisirent la portée de ce que j’avais accompli. Je me lançai dans une longue bataille contre l’ATF en vue d’obtenir des compensations… pour mon compte en banque, ma réputation et ma psyché. Cette affaire déprimante me brisa le cœur mais m’ouvrit les yeux : je m’attendais à être trahi par les Hells Angels, mais non par ceux pour qui j’avais autant travaillé.
Je n’avais pas davantage prévu l’échec de Black Biscuit.
Malheureusement, des conflits liés aux pièces à conviction et les tensions entre l’ATF et les US Attorneys nous laissèrent presque complètement démunis. La plupart des inculpations les plus graves furent abandonnées début 2006 ; par conséquent, rares furent les gars mis en examen dans le cadre de la loi sur le crime organisé qui virent l’intérieur d’une salle d’audience. Quelques-uns, notamment Smitty, Joby et Pete, pouvaient toujours faire l’objet de poursuites en raison de ce qu’ils avaient fait à Laughlin, mais, hormis les armes et la drogue que nous avions saisies, c’était comme si nous avions travaillé pour rien. Bien entendu, nous avions envoyé quelques gars en prison pour de courtes périodes et beaucoup avaient été condamnés avec sursis, mais ce n’était rien comparé à notre espoir de briser les reins des Hells Angels.
Ce furent des jours sombres. La presse et les avocats, qui ignoraient les conflits territoriaux opposant les agents et les procureurs, firent porter le chapeau à l’opération d’infiltration. On nous qualifia de protagonistes indisciplinés, téméraires, impulsifs, et la représentation juridique des Hells Angels nous critiqua publiquement, certaine que l’affaire ne passerait jamais devant un jury. Dans ces situations, blâmer les agents infiltrés est la solution la plus facile. C’est parfois vrai, mais, dans notre cas, c’était un mensonge. Le plus difficile pour moi, justement parce que ni l’ATF ni les
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