No Angel
et, une fois de plus, replia mes doigts sur eux. Je l’embrassai sur le sommet de la tête, les posai sur le tableau de bord, lui dis que je l’aimais et m’en allai.
Je retrouvai Carlos afin de finaliser, à Tucson, des achats d’armes préparés par Timmy et Pops. Ce seraient nos premières grosses affaires et elles tombaient à pic, parce que Slats s’impatientait. Il nous avait mis sous pression pour obtenir des pièces à conviction. Nous savions que les étapes que nous avions franchies – les approbations et les autorisations – viendraient à l’appui d’une inculpation dans le cadre de la loi sur le crime organisé, mais ne signifieraient rien si nous ne pouvions pas démontrer que les Hells Angels étaient impliqués dans une entreprise criminelle.
On se retrouva, Carlos et moi, dans un des « clubhouses » des Solos : le Waffle House du carrefour de Grant Street et de l’I-10. On mangea le Solo Angeles Spécial : gaufres à la noix de pécan, œufs sur le plat et bacon. On attendit que notre contact, Doug Dam, un Hells Angel de Tucson, nous téléphone et nous donne rendez-vous.
Nous étions munis de magnétophones, ce jour-là, mais sans émetteurs ; pour que l’équipe de couverture puisse nous suivre, il faudrait qu’on lui téléphone et qu’on lui indique notre destination.
Doug appela Carlos. Il nous demanda de le retrouver chez lui. On paya la serveuse, qui s’appelait Flo – je jure que c’est vrai : l’explosion platine de sa coiffure faisait penser à une fleur –, et on s’en alla.
On trouva Doug dans la cour de sa maison. Il faisait un mètre quatre-vingt et un peu moins de cent kilos. Ses yeux évoquaient des fenêtres sur l’âme d’une personne très grave ou très stupide. Il avait la barbe caractéristique des Hells Angels et portait au cou une mince chaîne en argent avec une croix. Il avait la réputation d’un combattant farouche. Il voyageait dans tout le pays afin de résoudre les problèmes des Hells Angels à coups de poing.
Il nous serra la main. Il dit qu’il faudrait qu’on se déplace beaucoup et qu’il devait d’abord manger. Carlos proposa le Waffle House numéro deux, celui du carrefour de la 22 e Rue et de l’I-10.
Ah, le Waffle House ! Pour les agents infiltrés, il n’y a pas de meilleur restaurant. Mauvais café, service en dessous de la moyenne, bonnes gaufres, léger sur le plan du portefeuille mais lourd sur celui de l’estomac. L’odeur est familière, comme celle de la crasse qu’on trouve sous l’ongle du gros orteil. L’endroit est pratique parce que, pour quelque raison bizarre, il y a toujours un parking permettant de voir dans trois directions, la quatrième étant fermée par le Waffle House lui-même. C’est excellent pour la surveillance et pour éviter les mauvaises surprises. Quand mes camarades des forces de l’ordre et moi roulons sur la route et voyons ces onze carrés jaunes contenant ces onze lettres noires, on est irrésistiblement attirés. Comme les insectes par la lampe de la véranda, à ceci près qu’ici c’est un café dans une tasse d’une propreté douteuse qui nous attire irrésistiblement.
On dit à Doug qu’on paierait, et Carlos et moi reprîmes des gaufres. Doug termina son repas par une glace.
Tout en enfournant des cuillerées de vanille dans sa bouche entourée de barbe, il expliqua :
— Voilà ce que je vous propose. Il y a un .38 et un automatique .40 chez moi. Le .40 n’est pas net, donc ne vous faites pas prendre avec. J’en ai aussi un autre, mais je ne peux pas le vendre.
Il s’essuya les lèvres du dos de la main, étala de la glace sur sa moustache. Puis il se pencha et souffla :
— Il a servi à commettre un crime grave et il faut le jeter dans la rivière, donc…
Sur le même ton, je répondis :
— Je comprends. Les risques du métier.
— Exact.
Doug était foutrement bavard. Obtenir des infos de sa part revenait à pêcher à la dynamite.
— Merci de prendre tout ça aujourd’hui. J’ai vraiment besoin de fric.
Carlos intervint :
— On croyait que vous vous débrouilliez bien ici ?
On savait que ce n’était pas le cas.
— Pas vraiment. J’avais une bonne affaire d’herbe mais depuis que je me suis fait piquer, l’année dernière, c’est plutôt mort. Mais, mec, quelle époque ! J’achetais l’herbe, ici, huit cents dollars le kilo, je la transportais dans le Maine, où je vivais avant, et je la revendais trois
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