Noir Tango
tu le connaissais.
— Che, je ne le connaissais pas !
Des camarades m’ont demandé de le cacher le temps qu’il se rétablisse.
— Des camarades ?…
— Che, des camarades des
jeunesses communistes.
— Parce que tu es communiste ?…
— Oui, répondit fièrement Carmen.
— Mais je croyais…
Léa regardait, perplexe, sa nouvelle amie. Jamais
elle n’eût pensé cela de la jolie et excentrique animatrice de Radio Belgrano. Des
communistes, Léa en avait rencontrés dans la Résistance, mais la plupart
étaient des hommes…
— Qu’est-ce que Daniel a à voir avec
les communistes ?
— Nous luttons contre les mêmes ennemis
et nous échangeons des renseignements.
— Eva Perón sait que tu es communiste ?
— Oui, c’est même une des raisons de
nos disputes, mais il y en a tant !
— Ce n’est pas dangereux pour toi d’héberger
Daniel ?
— Nous sommes très prudents. L’appartement
est surveillé jour et nuit par des camarades. Il y a en permanence quelqu’un
auprès de lui. Che ?
— Quand pourrai-je le voir ?
— Pas maintenant, il a besoin de calme
et de repos. Tu n’as pas oublié la leçon de tango, ce soir ?
— Non, je viendrai avec Sarah.
— Che, je suis obligée de te
quitter, j’ai une émission dans une heure et je dois passer à La Nacion avant.
— Je vais écrire à ma sœur Françoise et
ensuite j’irai faire un tour dans les magasins.
— Passe chez « Gath y Chaves »,
ils ont reçu des robes des États-Unis, pas chères du tout.
— Merci du renseignement, j’irai.
— Plus de
souplesse, mademoiselle, plus de souplesse !… les épaules bien droites… Là,
c’est mieux, disait Arturo Sabatini avec cet accent qui faisait la joie de
Sarah et de Léa. Les deux jeunes femmes dansaient ensemble. Léa arrivait à
suivre les circonvolutions de Sarah mieux que celles du professeur.
— Tu danses vraiment bien, tu sais.
— Toi, tu fais des progrès.
— Ne te moque pas de moi !
— Mais je ne me moque pas, je t’assure… à propos, Daniel te réclame.
— Mais… Carmen m’a dit qu’il devait se
reposer ?
— Sans doute, mais pour son moral, il
faut que tu viennes.
— Je ne demande pas mieux…
— Mademoiselle Léa, on ne parle pas en
dansant le tango.
— Excusez-moi, monsieur le professeur, dit-elle
en pouffant.
Le cours terminé, Carmen, Sarah et Léa se
retrouvèrent sur le trottoir del’ avenida de Mayo.
— Si nous allions prendre un chocolat
au café Tortoni ? C’est tout à côté.
— Un chocolat, par cette chaleur !…
Tu es folle, dit Léa.
— Le chocolat c’est très… comment
dites-vous ?… réchauffant ?… non… restituant ?…
— Reconstituant.
— Che, c’est ça, reconstituant.
— Reconstituant ou non, je préfère une
boisson fraîche.
— Tu boiras ce que tu voudras.
Après une longue
discussion avec Sarah, Carmen accepta de les emmener chez elle voir Daniel. Elles
prirent un taxi, qui les déposa près du cimetière de la Recoleta…
— C’est tout près, allons-y aller à
pied, c’est préférable.
Devant l’entrée d’un immeuble bourgeois, Carmen
dit quelques mots à un jeune homme. Après avoir dévisagé Léa et Sarah, il fit
signe qu’elles pouvaient passer.
Arrivée au troisième étage, Carmen sonna
trois coups.
— Abré, soy yo. [34] La porte s’ouvrit.
— ¿ Quien es ? [35]
— Amigas de Daniel, las conozco. [36]
L’homme qui avait ouvert s’effaça pour les
laisser entrer.
— ¿ Como signe ? [37]
— Mejor, Ernesto está a su lado. [38]
— Sabés Ernesto, me alegra mucho
volver a verte. [39]
Elle poussa une porte. La chambre était fraîche grâce à un
ventilateur et plongée dans la pénombre.
— Che, Ernesto como and a s. [40]
Un jeune homme aux cheveux bruns coupés
court, au beau visage où brillaient des yeux noirs magnifiques, se leva du lit
sur lequel il était assis.
— Muy bien, Carmen, me dijeron
que Daniel estaba en tu casa y que quería verme. [41]
— Bonjour Daniel, tu as l’air en pleine
forme. Je t’amène de la visite.
— Léa !… Sarah… cela me fait
plaisir de vous voir. Samuel est passé ce matin, puis Ernesto, maintenant vous
deux, je suis comblé. Si j’avais su que deux jolies femmes venaient me rendre
visite, je me serais rasé.
— La barbe t’ira très bien quand elle
sera plus longue, dit Sarah. Je ne te trouve pas mal du tout comme cela.
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