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Noir Tango

Noir Tango

Titel: Noir Tango Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Régine Deforges
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peux-tu ?
    — Pour moi, oublier est impossible, mais
pour lui ?…
    — Pas plus pour lui que pour aucun d’entre
nous. Tu ne comprends pas que c’est là-dessus qu’ils comptent, sur notre
paresse, notre lâcheté ?… Ne commencent-ils pas à dire que les chambres à
gaz n’ont jamais existé, que les documents photographiques sont truqués…
    — Mais tout le monde sait bien que ce
sont des mensonges, il y a des dizaines de milliers de témoins !
    — Oui, mais dans dix ans, dans vingt
ans, où seront-ils, ces témoins ? Morts ou ayant « oublié », comme
tu dis. Je te dis, moi, que nous avons le devoir de faire qu’on se souvienne de
l’horreur nazie et que les châtiments infligés aux survivants plongent les
assassins cachés à travers le monde dans une angoisse quotidienne et dans l’impossibilité
de connaître un seul jour de repos, une seule nuit d’un sommeil tranquille… Je
ne peux continuer à vivre que si je fais tout pour qu’il en soit ainsi.
    Sarah se tut, essoufflée. Elle était
terrible à voir dans sa colère vengeresse : le visage rouge sur lequel se
détachaient, livides, les marques de ses joues, ses traits crispés, sa bouche
tordue, ses courts cheveux hérissés sur sa tête… l’air d’une gorgone…
    Le silence qui suivit avait quelque chose de
brutal.
    On frappa à la porte ; la voix de
Carmen se fit entendre :
    — Vous avez fini ?… On peut entrer ?
    Dès que Carmen et Léa furent dans la chambre,
elles furent sensibles à l’atmosphère tendue et restèrent un bref instant
interdites sur le seuil. Samuel, prenant sur lui, fit diversion.
    — Nous allons laisser Daniel se reposer.
Tu viens Sarah ?… Vous venez, Léa ? À demain, petit frère.
    — À demain… au revoir, Léa, dit-il d’un
ton las.
    Léa se pencha sur lui et l’embrassa avec
tendresse.
    — Merci, murmura-t-il.
    — Je m’occupe de lui. À demain, dit
Carmen.
    — Je te
dépose, Léa ?
    — Non, merci Sarah, je vais marcher.
    — Comme tu voudras.
    Léa resta un long moment à regarder le taxi
emmenant Sarah. Elle marcha droit devant elle et arriva sur une place animée où
couraient des enfants sous de gros arbres. En face, un très haut mur derrière
lequel on apercevait des croix et des toits de chapelles : le cimetière de
la Recoleta. Elle entra par une porte monumentale. « Ce ne doit pas être
le cimetière des pauvres », pensa-t-elle en parcourant les larges allées
bordées de monuments funéraires attestant de la richesse des familles des
défunts. Rien à voir avec l’humble cimetière de Verdelais où reposaient ses
parents et sa sœur. Mais, comme à chaque fois, la présence des morts lui fut
douce. Dans un cimetière, elle se sentait, comment dire ? protégée… oui, c’est
cela, protégée. Elle n’aurait pas su expliquer pourquoi et cependant… Les morts,
eux, ne pouvaient pas lui faire de mal.
    Elle s’amusa de ce raisonnement enfantin.
    — C’est rare de voir quelqu’un sourire
dans un cimetière…
    Tout à ses songeries métaphysiques, elle n’avait
pas remarqué qu’un jeune homme la regardait. De quoi se mêlait-il ?…
    — J’étais tout à l’heure chez Carmen… Vous
ne vous souvenez pas ?
    Oui, bien sûr le beau garçon aux yeux de
fille.
    — Excusez-moi, j’étais dans la lune.
    —  Che  !… c’est surprenant
de rencontrer une una chica linda [42] se promenant dans un cimetière. Vous n’avez pas peur des fantômes ?
    — Non, et vous ?
    Il éclata d’un rire gamin qui aussitôt se
transforma en une quinte de toux sifflante. Quand il réussit à reprendre son
souffle, de la sueur perlait à son front.
    — Je suis désolé… c’est mon asthme.
    — Une de mes sœurs avait de l’asthme
quand elle était petite : chaque année nous allions à La Bourboule pour
elle. Je lui en voulais beaucoup au point de la faire enrager pour provoquer
une crise. Je sais, ce n’était pas très gentil, mais… je détestais La Bourboule.
    — Ce n’était pas très gentil, en effet.
Comment va-t-elle ?
    — Elle est morte.
    — Oh ! pardon…
    — Rassurez-vous, elle n’est pas morte
de sa maladie.
    — De quoi est-elle… ?
    — Assassinée… parlons d’autre chose, voulez-vous ?
Il y a longtemps que vous connaissez Daniel ?
    — Non, un mois à peine. Comme il vous l’a
dit, nous nous sommes rencontrés au cours d’une conférence sur l’archéologie
précolombienne…
    — Je ne savais pas qu’il

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