Noir Tango
vous ?
— Depuis que nous sommes petits, nous
ne pouvons pas nous sentir, mais nous ne pouvons pas nous passer l’un de l’autre.
— C’était comme moi, avec mes sœurs.
— On vous a téléphoné cet après-midi. Qui
était-ce ?
Quelle dureté dans le ton ! Plus rien à
voir avec celui qu’il employait tout à l’heure.
— Mais cela ne vous regarde pas !
— Tout ce qui se passe ici nous regarde,
mon père et moi. Je répète : qui était-ce ?
— Madame Ocampo.
— Cette chère Victoria, pourquoi ne pas
l’avoir dit tout de suite ?
— Je n’en voyais pas l’importance.
— Que voulait-elle ?
— Savoir comment cela se passait, si je
me plaisais chez vous.
— Qu’avez-vous répondu ?
— Que c’était un endroit horrible, avec
des gens épouvantables.
Jaime éclata de rire.
— Je vois que vous aimez la
plaisanterie, moi aussi. Vous n’avez vu personne ?
— à part les domestiques, personne.
— Je vous laisse, faites-vous belle pour
ce soir.
Restée seule, Léa prit un bain, se lava les
cheveux et s’habilla élégamment et confortablement ; ce n’était pas le
moment d’être gênée par une robe encombrante. Elle mit quelques affaires
auxquelles elle tenait dans un sac qu’elle posa derrière la porte et descendit.
Une dizaine de personnes buvaient des
apéritifs, assis sous la véranda. Parmi elles, Rik Vanderveen. Il s’avança, un
verre à la main.
— Vous allez mieux ? On m’a dit
que vous étiez souffrante.
— Beaucoup mieux, merci. Comment s’est
passée cette journée ?
— Très agréablement. Et la vôtre ?
— Calme et reposante.
— Vous vous êtes promenée dans les bois ?
— Non, je suis restée sous les arbres
en bordure de la pelouse.
Jaime vint vers eux avec son père.
— Vous êtes ravissante, je suis heureux
de voir que vous êtes rétablie.
— Merci, monsieur.
— Mon fils m’a dit que vous aviez eu
madame Ocampo au téléphone ? Comment va cette chère amie ?
— Bien. J’ai cru comprendre qu’elle
viendrait nous voir.
Le regard qu’échangèrent Manuel Ortiz et Rik
Vanderveen n’échappa pas à Léa.
— Quelle bonne idée, dit ce dernier. Vous
buvez quelque chose ?
— Merci, plus tard.
La nuit tomba rapidement, la pelouse et les
alentours de la maison s’illuminèrent. Léa répondait machinalement aux propos
des invités, tout en guettant un bruit de moteur. À l’écart, Manuel et Jaime
Ortiz s’entretenaient avec Rik Vanderveen. On allait passer à table quand un
ronflement de plus en plus fort fit lever les têtes ; des lumières
clignotaient dans le ciel et se rapprochaient del’ estancia.
— Un avion, s’écria Guillermina.
— Ce doit être José qui nous fait la
surprise de venir, dit madame Ortiz.
Le petit avion atterrit sur la pelouse, roula
jusqu’à son extrémité, fit demi-tour et s’arrêta face au perron. Tout le monde
se précipita vers lui. Le cœur battant, Léa reconnut François aux commandes. « Je
ne savais pas qu’il pilotait, pensa-t-elle. Il y a tant de choses que je ne
sais pas de lui. » Manuel Ortiz aida Victoria Ocampo à descendre de l’appareil.
— Quel plaisir de vous revoir, dit-il
en lui baisant la main.
— J’ai tenu à accompagner mon ami, monsieur
Tavernier. Sa femme malade réclame la présence de Léa. Nous sommes venus la
chercher.
— Mon Dieu ! Sarah est malade ?
— Oui, gravement, elle insiste pour que
tu viennes auprès d’elle, dit François d’un ton affligé.
— Alors, partons, je vais préparer mes
affaires.
— Tout cela est bien contrariant, dit
le maître de maison, mais je n’accepterai pas que vous quittiez ma demeure sans
avoir partagé le repas qui nous attend.
— Mais…
— Ma chère Léa, montez faire votre
bagage et vous nous rejoindrez à la salle à manger. Guillermina va vous aider.
Le ton était sans réplique ; il fallait
céder. Comment prévenir Daniel ? Elle s’approcha de Tavernier, lui prit le
bras et dit d’une voix plus forte qu’il n’était nécessaire :
— Ne vous dérangez pas, François va m’aider,
pendant ce temps il me parlera de Sarah.
Ils étaient déjà dans l’escalier, personne
ne les suivit. Dans la chambre, ils s’étreignirent violemment.
— Où est Daniel ?
Léa l’entraîna à la fenêtre.
— Tu vois cette allée là-bas ? Il
est dans un fossé. Mais comment aller le chercher avec toutes ces lumières ?
— Il
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