Noir Tango
moi comme mari.
— Dans ce cas, monsieur… dit Albertine
en se levant.
— Rasseyez-vous, mademoiselle, je n’ai
pas voulu vous blesser, seulement vous dire que cela ne dépend pas de moi mais
de Léa. Pour répondre plus simplement à votre question, oui, j’épouserais
volontiers votre nièce.
Un énorme soupir de soulagement s’échappa
des poitrines des vieilles demoiselles.
— Que vous m’avez fait peur ! s’exclama
Lisa d’une voix étouffée en s’éventant avec son mouchoir.
Albertine ne dit rien, se contentant de
sourire.
— Si vous le permettez, mesdemoiselles,
j’irai m’entretenir avec votre notaire. Comment se nomme-t-il ?
— Maître Loiseau, il habite boulevard
de Courcelles.
— Très bien, j’irai le voir dans la
semaine.
François Tavernier
alla voir le notaire et se proposa pour acheter l’appartement à un prix très
avantageux pour les vieilles demoiselles, à la condition qu’il garde secret le
nom de l’acquéreur jusqu’à nouvel ordre. En compagnie de Françoise, il se
rendit à Montillac pour voir l’état de la propriété. Les dégâts de la maison
étaient moins importants qu’il ne l’avait imaginé. La toiture était entièrement
à refaire ainsi qu’une partie de la charpente ; pour le reste, après
nettoyage, il suffirait de repeindre ou de tapisser les différentes pièces, d’acheter
quelques meubles.
Françoise ne put cacher son émotion en
revoyant les lieux de son enfance.
— Je ne pensais pas que notre chère
maison eût tant souffert ! Mais vous avez raison, c’est ici que nous
devons vivre. Pour moi la décision est prise de m’y installer avec mon fils. C’est
encore là que j’arriverai le mieux à oublier et à élever mon enfant. J’espère
convaincre Laure et Léa de venir aussi.
— C’est une sage décision que vous
prenez, je souhaite que vos sœurs aient votre sagesse.
— Pour Léa, je n’en sais rien. Vous
seul, je crois, pouvez la convaincre. Je suis plus inquiète pour Laure. Elle a
pris l’habitude d’une vie facile, mondaine, parisienne. Je la vois mal
reprendre la vie simple de la province.
— Je suis assez de votre avis. Mais
pouvez-vous la laisser seule à Paris ? Elle est encore bien jeune.
— De toute façon, elle n’en fera qu’à
sa tête. Je sais qu’elle voulait quitter la rue de l’Université pour s’installer
dans un studio, rue Grégoire-de-Tours. Je la connais, si elle a décidé de vivre
à Paris, rien ne la fera changer d’idée. Elle est encore plus obstinée que Léa.
Après avoir pris l’avis de Françoise, Tavernier
confia les travaux à un architecte de Bordeaux qui s’engagea à leur fournir des
devis dans les meilleurs délais.
Grâce aux soins d’un propriétaire voisin, la
vigne n’avait pas trop souffert. Le brave homme, monsieur Tescard, recommanda
un de ses parents comme régisseur. Prisonnier pendant quatre ans, Alain Lebrun
avait passé son temps de captivité dans un domaine viticole des bords du Rhin
où, en l’absence du vigneron et de ses fils combattants, il avait fait
merveille. À tel point que sa patronne, sans nouvelles de ses hommes à la fin
de la guerre, lui avait proposé une de ses filles en mariage. Alain avait
décliné poliment l’offre et, vendanges faites, s’apprêtait à rentrer au pays.
— C’est un consciencieux, avait dit
Testard, il aime et respecte la terre, il a accepté de rester là-bas jusqu’à la
fin des vendanges. Les demoiselles Delmas ne pourront pas trouver mieux que lui,
je m’en porte garant. Je lui ai écrit pour lui en parler et le sonder sur ses
intentions. Il m’a répondu que s’il convenait aux demoiselles, il était d’accord.
— Je me souviens de lui, avait dit Françoise.
C’est un garçon de mon âge qui n’a ni famille ni fortune. Il a été élevé par un
oncle tonnelier à Saint-Macaire. Jeune, il était travailleur et taciturne. S’il
n’a pas changé, c’est exactement le genre de personne qu’il nous faut à
Montillac.
Françoise lui écrivit et rendez-vous fut
pris à son retour.
Tout alla très
vite dans les deux mois qui suivirent et au début de l’été les demoiselles de
Montpleynet quittèrent Paris avec Françoise, son fils et le petit Charles. Laure
avait accepté d’y passer les vacances mais avait refusé de s’installer à
Montillac, disant qu’elle s’enfuirait si ses tantes l’y obligeaient. De guerre
lasse, ses tutrices avaient accepté qu’elle louât le
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