Noir Tango
studio de la rue
Grégoire-de-Tours. Reconnaissante, Laure promit de reprendre ses études et d’aider
à la remise en état de Montillac.
En accord avec François Tavernier, on n’avait
pas informé Léa de ces grands changements dans la vie de la famille.
— Ce sera une surprise, avait-t-il dit.
Les premières
semaines se passèrent dans l’euphorie et le désordre. La maison de Langon était
trop petite pour accueillir tout le monde. On s’installa tant bien que mal à
Montillac, il faisait beau, ce campement amusait petits et grands et puis, les
travaux avançaient vite.
Françoise et Laure avaient eu une grande
joie en retrouvant Ruth, leur vieille gouvernante. Comme elle avait changé !…
Elles gardaient le souvenir d’une femme dans
la force de l’âge et là… ses mains sans cesse agitées de tremblements
révélaient les tourments endurés. Sa présence était chère à tous et disait que
la vie continuait, que l’enfance n’était pas complètement enfuie puisque celle
qui racontait de si belles histoires, chantait des berceuses si tendres était
là et qu’à nouveau, elle racontait les fées et les loups, les ogres et les
belles princesses endormies à deux petits garçons qui, sans s’être concertés, l’appelaient :
mémé Ruth.
4.
Après son hospitalisation de deux mois, Sarah
Mulstein avait été hébergée par la famille du major George McClintock dans leur
vaste propriété au nord de l’Écosse. Là, la jeune femme, entourée de soins et d’affection,
avait recouvré sa santé avec une rapidité qui étonnait les médecins. L’un deux,
plus perspicace, s’inquiétait de son état mental. Elle refusait obstinément de
parler de ce qu’elle avait subi en Allemagne et donnait à tous l’impression de
vouloir oublier. Une chose cependant contredisait cela : dès que ses
cheveux avaient commencé à repousser et qu’elle en avait eu la force, elle s’était
rasé le crâne. Aux questions de ses hôtes, elle s’était contenté, avec une
noire ironie, de répondre qu’elle trouvait cela seyant. Lady Mary, la mère de
George McClintock, avait fait venir de Londres une superbe perruque ; Sarah
l’avait remerciée sèchement en ajoutant qu’il lui était impossible de la porter
jamais car cela lui rappelait d’autres chevelures, qui étaient envoyées par
ballots entiers des camps vers les fabriques de tissus. Ce fut une de ses rares
allusions à l’univers concentrationnaire nazi tant que dura son séjour. Bien
que choqués par son attitude, ils surent faire preuve de tact et de
compréhension.
À l’automne, elle leur fit part de son
intention de retourner en Allemagne pour essayer de savoir ce qu’étaient
devenus la sœur de son père et ses cousins et ce qu’il était advenu de la
famille de son mari et de ses biens.
George tenta de l’en dissuader.
— J’avais de la famille à Berlin et à
Munich, je veux savoir s’il reste des survivants. Par ailleurs les procès des
criminels nazis vont commencer. Je ne veux pas manquer ça et je suis prête à
témoigner.
— Il n’y a que ruines à Berlin, il doit
en être de même à Munich comme dans toutes les grandes villes d’Allemagne.
— Je le sais, mais je tiens quand même
à m’y rendre. Ne devez-vous pas aller à Nuremberg ? Emmenez-moi.
— Vous n’êtes pas en mesure de
retourner là-bas !
— Détrompez-vous. Si vous ne voulez pas
m’y emmener, j’irai seule.
McClintock dut céder et s’occupa des
formalités nécessaires.
Il accompagna
Sarah jusqu’à Munich avant de rejoindre Nuremberg. Dans l’ancienne capitale de
Bavière, elle eut la joie de retrouver un de ses cousins, jeune avocat avant la
guerre, Samuel Zederman, échappé par miracle à la police le jour de
l’arrestation de toute sa famille : parents, grands-parents, frères et
sœurs. Tous avaient été déportés à Mauthausen.
Samuel avait survécu caché dans la cave de
sa petite amie non juive qui, pendant deux ans, l’avait nourri et protégé à
l’insu de tous. Les bombardements devenant de plus en plus fréquents, ils
prirent l’habitude de passer toutes leurs nuits dans la cave. C’est là que
naquit une petite file qui mourut à la naissance et qu’ils enterrèrent,
désespérés, dans un coin. Un soir son amie ne revint pas ; il attendit en
vain plusieurs jours. Quand enfin il se résigna à sortir, fou d’angoisse et de
faim, il ne reconnut rien. Autour de lui ce n’était que ruines où
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