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Noir Tango

Noir Tango

Titel: Noir Tango Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Régine Deforges
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erraient des
créatures grises fouillant entre les pierres. Il marcha longtemps avant de
trouver un immeuble presque intact, se dressant seul au milieu des décombres ;
au rez-de-chaussée il y avait un café aux vitres remplacées par du carton. À l’intérieur
une unique lampe à pétrole ou à huile éclairait chichement la salle où se
tenait une humanité grisâtre, assise sur des bancs devant des récipients
hétéroclites d’où montait un filet de vapeur. On se serra pour lui faire une
place et, sans rien lui demander, une jeune fille maigre et pâle, posa devant
lui un bol ébréché rempli d’un liquide fumant. Il le saisit avec reconnaissance ;
cela avait un goût indéfinissable mais c’était chaud. La tête lui tourna ;
il perdit connaissance. Quand il revint à lui, la salle était vide, les sirènes
hurlaient. Très vite les premières bombes explosèrent. Autour de lui, le sol, les
murs tremblaient, sur les étagères les verres s’entrechoquaient avec des sons
cristallins aussitôt recouverts par le fracas des explosions tandis que des
morceaux de plafond lui tombaient sur la tête. Il fallait fuir, mais auparavant
il devait trouver quelque chose à manger. Il passa derrière le comptoir et
fouilla dans les placards. Au fond de l’un deux, il trouva un paquet de gâteaux
secs et trois boîtes de lait concentré. À l’aide du poinçon de son couteau, il
ouvrit l’une d’elles et avala avec délice la sirupeuse boisson. Il eut assez de
volonté pour ne pas tout boire et rangea la boîte dans la musette qu’il avait
eu la présence d’esprit de remplir d’un peu de linge, d’une timbale en argent, d’un
collier de perles ayant appartenu à sa mère et d’une photo le représentant en
compagnie de son amie. À peine venait-il de sortir qu’une bombe pulvérisa l’immeuble.
Le souffle de la déflagration le projeta en l’air. Il se releva étourdi, toussant,
mais indemne, au milieu d’un opaque nuage de poussière. On n’entendait plus que
le bourdonnement des avions s’éloignant dans le ciel et le crépitement des flammes
s’échappant de l’immeuble effondré. Les mains tendues devant lui, il s’éloigna
du brasier, butant sur les gravats. Peu à peu le nuage de poussière devint
moins dense. Tels des spectres, il voyait se lever des créatures à l’aspect
vaguement humain qui semblaient surgir de l’ombre ; pas un cri, pas un
pleur, pas le moindre gémissement, des gestes comme ralentis. Bientôt, il y eut
une petite foule s’éloignant lentement, sans bruit. Samuel se mêla à cette
foule : des femmes surtout, auxquelles la poussière qui les recouvrait ne
permettait pas de donner d’âge, de très vieux hommes courbés et des enfants qui
marchaient droit devant eux, sans hâte, comme sans but.
    Combien de temps dura son périple à travers
l’Allemagne dévastée, à fuir les bombardements, les hordes de pillards, les
soldats déserteurs ? Il ne le sut jamais. Il se réveilla un jour sur le
bord d’une route, soutenu par un grand soldat noir américain qui lui donnait à
boire.
    Quand Sarah et lui se retrouvèrent, le jeune
et brillant avocat servait d’interprète aux troupes françaises et américaines
tout en cherchant à savoir ce qu’était devenue sa famille. Il réussit à
convaincre le commandement français de la région de la nécessité d’avoir une
interprète féminine pour s’occuper plus particulièrement des enfants. Un jour, ils
suivirent un convoi de la Croix-Rouge Internationale chargé de rapatrier de
nombreux orphelins qui voyageaient accompagnés de médecins et d’infirmières
allemands. A la descente du train, chaque enfant recevait un verre de lait chaud
et une tablette de chocolat. Les pauvres petits, pour la plupart habillés de
mauvais vêtements aux couleurs indéfinissables, certains les pieds enveloppés
de chiffons, maigres, les yeux immenses mangeant leur visage pâle et sale, en
état de choc, regardaient ces friandises avec appréhension avant de les
engloutir en un tour de main avec dans le regard un bref éblouissement.
    Samuel interpella l’un des deux médecins
reconnaissables à leur brassard et demanda lequel était responsable du convoi.
    —  Das bin ich [4] répondit une forte femme assez belle.
    Sarah, en entendant cette voix, s’immobilisa,
saisit d’épouvante. Au prix d’un incroyable effort, elle parvint à se retourner
mais ses yeux, troublés de larmes, n’arrivaient pas à distinguer les traits

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