Noir Tango
du
visage : elle remarqua seulement, comme dans un brouillard, que celle qui
avait parlé portait l’uniforme bleu de la Croix-Rouge… Elle
devait rêver, ce n’était pas possible.
— Die Kinder sind blutarm aber im
algenmeinen ziemlich gesund, nicht wach Inge ? [5]
— Ja, Frau Doktor, wie haben unser
Bestes getan, um sie zu pflegen [6] , dit une infirmière qui se tenait près d’elle.
Cette autre voix ?… non !… non !…
Elle avait dû crier car Samuel revint vers
elle précipitamment.
— Qu’as-tu ? Tu n’as pas l’air
bien, qu’est-ce qu’il t’arrive ?
Sarah tremblait, incapable de parler, suffoquante,
livide. Il la gifla.
— Ces auxiliaires de la Croix-Rouge, parvint-elle
à articuler en désignant le médecin et l’infirmière.
— Eh bien quoi, ce sont des personnes
compétentes chargées par les alliés de retrouver les enfants égarés à travers l’Allemagne.
— Mais ce n’est pas possible, pas elles !
— Que veux-tu dire, je ne comprends pas ?
Les convoyeuses avaient remarqué le
bouleversement de cette femme en tenue vaguement militaire coiffée d’un bonnet
qui dissimulait ses cheveux. Ce visage leur disait vaguement quelque chose. Soudain,
celle qui se nommait Inge pâlit et, se penchant vers sa compagne, lui murmura :
— Ich erkenne sie, sie war diejenige,
die Ihren in Ravensbrück widerstand leistete. [7]
— Spricht nicht so laut, du Idiotin !… Du hast recht ! [8]
Un train entra en gare sur l’autre voie, les
infirmières américaines rassemblèrent les enfants pour les éloigner de la
bordure du quai, créant un moment de confusion dont profitèrent les deux
Allemandes pour, passant derrière le groupe agité, se diriger vers la sortie. Les
passagers du nouveau train descendirent, provoquant une cohue qui permit aux
deux femmes de s’échapper avant que Sarah et Samuel eussent pu réagir. Quant à
leur tour ils atteignirent le parvis de la gare, elles avaient disparu. Il ne
leur restait qu’à faire leur rapport aux autorités américaines.
— Vous êtes sûre qu’il s’agit bien du
docteur Rosa Schaeffer, médecin au camp de Ravensbrück et de l’infirmière
Ingrid Sauter ? demanda à Sarah le commandant qui les reçut.
— Aussi sûre que je vous vois. En tant
que médecin, elle est responsable de la mort de centaines de déportées. Elle a
pratiqué sur des dizaines de femmes des expériences qui, quand elles ne les ont
pas tuées, les ont mutilées à vie. Je suis l’une d’elle et je suis prête à
témoigner.
— Merci, madame. Elles figurent bien
sur nos listes de personnes à arrêter. Nous allons mettre tout en œuvre pour
les retrouver.
— Mais comment se fait-il qu’elles
aient réussi à s’infiltrer dans les rangs de la Croix-Rouge ?
— Je n’en sais rien, tout ce que je
peux dire c’est que nous avons dû faire appel aux médecins et infirmières
allemands qui étaient disponibles, nos équipes médicales étant débordées. Ce n’est
pas le premier cas qui nous est signalé de médecins nazis ayant profité de l’occasion.
Certains réseaux se sont constitués pour la fabrication de faux papiers, d’hébergements
sûrs parmi la population. Des filières se mettent en place pour faire sortir
les plus compromis du pays. Toute une partie des services alliés travaillent à
démanteler ces réseaux. Ce n’est pas facile car ils bénéficient non seulement
de la complicité d’une partie de la population, mais d’aides étrangères. Dans
le cas qui nous intéresse, cela ne devrait pas être trop difficile de mettre la
main dessus.
Durant les deux
jours qui suivirent cette sinistre rencontre, Sarah resta prostrée dans sa
chambre, refusant de parler. Samuel Zederman, conscient du choc subi par sa
cousine, la laissa tranquille, jusqu’au moment où il éclata.
— Tu ne vas pas rester à te morfondre
ainsi sans rien faire en attendant qu’on te les amène. D’ailleurs, qui te dit
que les Américains vont les retrouver, ils sont des milliers dans ce cas, autant
chercher une aiguille dans une meule de foin. C’est à nous de partir en chasse,
c’est à nous de nous venger. Mais avant, nous devons savoir si nous avons une
chance de retrouver les nôtres. Beaucoup de survivants de Mauthausen se
trouvent près de Linz dans des camps pour personnes déplacées. Nous allons y aller,
Linz n’est qu’à trois heures de Munich.
Ils mirent deux jours pour faire le voyage
dans un train bondé
Weitere Kostenlose Bücher