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Noir Tango

Noir Tango

Titel: Noir Tango Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Régine Deforges
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large, Sarah
parla :
    — Au sortir du bordel, je fus envoyée
au camp de Ravensbrück. J’étais enceinte mais je ne le savais pas. J’eus le
malheur de lever la main sur une femme médecin du camp. Je fus battue puis
soignée afin d’être en état de mieux supporter les tortures qu’elle me
réservait en représailles. Quand je fus rétablie, elle me révéla que j’attendais
un enfant et qu’elle allait m’avorter. J’avais accueilli sa révélation avec
horreur et sur le moment je fus soulagée par sa décision. Elle s’en aperçut et
cela la fit changer d’avis.
    «— C’est de la graine d’allemand que tu
as dans le ventre. J’ai envie de voir à quoi ressemble le fruit d’une guenon
juive avec un homme de race pure. Ce sera un bon sujet pour mes expériences.
    « À ma grande honte, je la suppliai de
m’avorter. Elle eut le front de me répondre d’un air indigné :
    «— Comment oses-tu me demander de
commettre un tel crime, à moi qui suis médecin et me dois de respecter la vie, fut-ce
celle d’un fœtus juif ?
    « Pour être sûre de me voir conduire ma
grossesse à terme, elle me dispensa de durs travaux et me fit affecter aux
cuisines du camp. Là, j’eus droit à une nourriture un peu plus substantielle
que celle distribuée aux autres détenues. Ce régime de faveur me valut la haine
des prisonnières de mon block malgré les aliments que je subtilisais pour elles.
Quand elles découvrirent que j’attendais un enfant, ce fut bien pire encore, elles
m’accablèrent d’insultes plus ignobles les unes que les autres. Seule une très
jeune fille fit preuve de compassion. Je la pris en amitié et m’arrangeais pour
lui donner de quoi apaiser sa faim. Elle était douce, ravissante et fragile. Polonaise,
Ivenska avait vu ses parents et son petit frère massacrés sous ses yeux. Le
choc avait dérangé son esprit ; elle chantonnait et souriait sans cesse, ce
qui agaçait nos compagnes. La nuit, sur sa paillasse, elle gardait longtemps
les yeux grands ouverts ruisselants de larmes sur son visage souriant. Un jour
le docteur Herta Oberheuser la fit chercher pour la conduire au Revier [10] . Je tentai de m’y opposer mais la Schwester [11] Erika me repoussa à coups de pied.
Ivenska partit en souriant. Quand elle revint, le lendemain, elle souriait toujours,
les traits tirés, le teint blafard, les yeux fous, roulant dans tous les sens, les
mains crispées sur son ventre. Toute la nuit, brûlante de fièvre, elle se
tordit de douleur, grimaçante et souriante. C’était terrible ce sourire sur
cette face ravagée par la souffrance. Elle grelottait malgré les couvertures
prêtées par les prisonnières. Sous la paillasse se formait une petite mare de
sang. Dans les cuisines, j’avais entendu parler des expériences pratiquées sur
les détenues dans le service du docteur Oberheuser. Là, sous les ordres du
docteur Schumann, venu d’Auschwitz, une centaine ou plus de jeunes Tziganes
furent opérées par toute une équipe de médecins et d’infirmières SS. Quand on
passait près du Revier , on entendait des cris et des pleurs. Plusieurs petites filles eurent
les ovaires irradiés par des rayons X, certaines subirent l’ablation des
organes génitaux. Beaucoup avaient des plaies ouvertes au ventre qui ne
cessaient de suppurer. Presque toutes moururent dans d’atroces souffrances. C’est
ce qui arriva à Ivenska. Au matin je la retrouvai morte, un sourire sur son
beau visage enfin apaisé.
    « L’enfant bougeait dans mon ventre. Peu
à peu je m’étais mise à aimer ce petit être qui grandissait en moi. Quand je
fus proche du terme de ma grossesse, le docteur Rosa Schaeffer me fit
hospitaliser à la maternité du Revier où
elle provoqua l’accouchement.
    Sarah se tut, le regard fixe. Les mains
tremblantes, elle prit une cigarette dans un paquet froissé qu’elle retira d’une
poche de sa robe, l’alluma à la flamme du briquet tendu par Léa et tira
nerveusement deux ou trois bouffées. Le tremblement de ses mains cessa.
    — Ce fut un garçon.
    Les épaules soudain affaissées, Sarah
éteignit sa cigarette dans un cendrier débordant de mégots.
    — Je l’appelai Yvan… il était blond et…
très beau.
    «— Comment une guenon comme toi
a-t-elle pu donner naissance à un bel Aryen ? me dit le docteur Schaeffer.
Dommage que je doive m’en servir pour tester un nouveau vaccin contre le typhus.
    « Je la suppliai de laisser l’enfant et
de tester son

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