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Noir Tango

Noir Tango

Titel: Noir Tango Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Régine Deforges
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son corsage, Sarah sortit son sein
et le tendit vers une bouche fantôme.
    C’en était trop pour Léa. Elle se releva et
à deux reprises gifla violemment Sarah. Calmement, la jeune femme reboutonna sa
robe.
    — Merci, fit-elle en se redressant.
    Les marques des doigts s’imprimaient d’un
rouge vif sur la face blanche. À voix presque basse Sarah reprit :
    — Pardonne-moi, il faut que je continue
jusqu’au bout, tu dois savoir… Ce que tu m’as vu faire, c’est ce que j’ai fait
là-bas. J’ai ramassé le corps de mon fils et je l’ai tenu contre moi essayant
de le réchauffer, de le nourrir… je glissai le mamelon entre les petites lèvres,
tièdes encore…
    — Tais-toi, je t’en supplie, tais-toi !
    — … Je lui fredonnai la berceuse que
mon père me jouait avant de m’endormir. J’avais oublié le cadavre de la petite
fille, celui de la Tzigane et la présence des deux femmes. Je remarquais à
peine qu’elles riaient ; j’étais heureuse, je tenais mon enfant dans mes
bras. Craignant qu’il ne prît froid, je l’emmaillotai dans le drap du lit. Puis,
pieds nus, en chemise tachée de sang, je quittai le Revier … il avait neigé… Je m’enfonçai dans la masse blanche, légère. Je ne
sentais pas le froid, je marchais comme dans un rêve, le cœur débordant du
bonheur de serrer mon petit garçon contre moi, de rentrer avec lui à la maison…
J’arrivai à mon block. Une dizaine de détenues se tenaient devant la porte, grelottant
dans leur défroque rayée. Elles s’écartèrent devant moi. L’une d’elles me prit
par l’épaule, me conduisit près du poêle et me fit asseoir sur un tabouret. Une
autre posa une couverture sur mes épaules, une autre encore m’enfila des bas de
laines multicolores. Je me fis la réflexion qu’elle avait dû les tricoter avec
une infinie patience en récoltant de droite et de gauche de petits bouts de
laine. Je les remerciai avec reconnaissance ; depuis que j’étais dans ce
camp, elles ne m’avaient pas habituée à tant de prévenances. On me tendit une
boisson chaude. Je la bus avec délice.
    «— Montre-nous ton bébé.
    « Avec précaution, j’écartai le drap.
    «— Surtout ne le réveillez pas.
    « Des têtes rasées ou portant fichu se
penchèrent. Mais pourquoi se rejetaient-elles en arrière, pourquoi
criaient-elles, pleuraient-elles ? D’autres se penchèrent, puis d’autres. Toutes
avaient la même attitude.
    «— Chut, ne faites pas tant de bruit, vous
allez le réveiller.
    « Elles se turent. Seuls quelques
sanglots troublaient le silence du block… Je ne comprenais pas pourquoi elles pleuraient
au lieu de se réjouir avec moi… Pendant cinq jours, ces femmes que j’avais
connues dures, égoïstes, capables de tout pour un morceau de pain, me
nourrirent, me lavèrent, me cajolèrent, me laissèrent à ma folie. Ce fut sans
doute grâce à leurs soins que je ne sombrai pas complètement et qu’enfin je
compris que je ne berçais qu’un cadavre. Elles m’aidèrent à l’envelopper dans
un linceul et en procession, fredonnant la berceuse de mon père, m’accompagnèrent
jusqu’au four crématoire. Là, après un dernier baiser, je déposai le corps de
mon enfant sur les corps attendant d’être brûlés.

7.
    — Arrête de boire comme ça, tu vas te
rendre malade, dit Laure en arrachant le verre de whisky que Léa venait de
remplir.
    — Laisse-moi.
    — Cela fait deux jours que tu n’arrêtes
pas de boire, que tu n’as ni mangé ni dormi. Que s’est-il passé avec Sarah, que
t’a-t-elle dit pour te mettre dans un état pareil ?
    Léa ne répondit pas, elle grelottait de la
tête aux pieds, allongée, tout habillée, sur le lit de sa sœur.
    — Tu es malade, je vais appeler le
médecin.
    — Ce n’est pas un médecin qui pourra me
guérir, dit-elle avec un petit ricanement. Donne-moi à boire.
    — Non !
    On sonna à la porte, Laure se hâta d’aller
ouvrir.
    — Franck, entre vite ! tu vas m’aider.
    — Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu as
une de ces mines !
    — Cela n’a rien d’étonnant, cela fait
deux jours que je ne dors pas.
    — Tu as un nouvel amoureux ?
    — Ne dis pas de bêtises, je suis avec
Léa.
    — Léa ? Chic alors ! Elle est
revenue d’Allemagne ? Quand ?
    — Il y a deux jours. Elle venait à
peine d’arriver qu’une de ses amies, une ancienne déportée, Sarah Mulstein… tu
sais, celle dont je t’ai déjà parlé, lui a demandé de passer la

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