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Noir Tango

Noir Tango

Titel: Noir Tango Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Régine Deforges
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les
milliers de gens qu’ils ont massacrés, tu es une de leurs victimes…
    — Otto n’était pas comme eux !
    — Je le sais, mais il était coupable
comme les autres…
    — Non, il était bon, incapable de faire
le mal !
    — C’était un Allemand !…
    — Arrêtez, mes enfants, s’écria Albertine
en s’interposant. Vous devez toutes les deux vous efforcer d’oublier votre
passé…
    — Oublier !… firent-elles ensemble.
    — Oui, oublier. On ne peut pas vivre en
ressassant ces malheurs. Françoise, tu te dois à ton fils et toi, Léa, tu es
responsable de Charles. Pour ces enfants innocents, vous devez tout faire pour
oublier. C’est non seulement votre devoir, mais le seul parti raisonnable.
    Pendant que sa tante parlait, Léa revoyait
Sarah berçant un bébé fantôme. Elle ferma les yeux et serra les poings à s’en
faire mal.
    — Tante Albertine a raison, cela ne
sert à rien de s’abîmer dans nos tristes souvenirs. Faisons un effort. Je t’aiderai,
Françoise, comme tu m’aideras.
    Dans les larmes et les rires nerveux, les
deux sœurs s’embrassèrent.
    Le beau temps
revint à Montillac, dans les cœurs comme dans le ciel. D’un commun accord, il
fut décidé qu’Albertine et Lisa de Montpleynet viendraient s’installer dans la
grande maison, où elles auraient à l’étage un appartement commode, et que d’ores
et déjà elles mettaient en vente leur demeure de Langon. Moins d’une semaine
après leur décision, un acheteur se présenta ; un jeune médecin désirant s’installer
non loin de ses parents retraités à Villandraut. Cette vente apporta un peu de
bien-être à tous, permit d’acquérir du matériel pour améliorer le travail de la
vigne, une camionnette neuve et une voiture d’occasion. Au début de l’été, les
demoiselles de Montpleynet étaient installées, avec un peu de mélancolie Lisa
qui disait préférer la « ville ». Ce terme appliqué à Langon faisait
rire Léa.
    — Ne t’inquiète pas, ma petite tante, je
t’emmènerai faire les boutiques de Bordeaux.
    Cette perspective rassura tout à fait la
coquette Lisa. Albertine n’eût jamais pris cette décision, de peur d’embarrasser
ses nièces, si elle ne s’était sue gravement malade. Elle redoutait plus que
tout de laisser sa chère et candide Lisa livrée à elle-même après sa mort. Sans
rien dire, elle acheta une concession au cimetière de Verdelais, non loin de la
tombe de Toulouse-Lautrec et de celle d’Isabelle et Pierre Delmas. Cette femme
secrète et discrète préparait son dernier voyage avec le souci d’épargner à
ceux qu’elle aimait les tristes tracas, qu’occasionne tout décès. C’était là
son ultime élégance.
    Chaque jour, Léa
guettait le passage du facteur, mais le temps passait, n’apportant aucune
nouvelle de François. Enfin, un matin, on lui remit une enveloppe chiffonnée, couverte
de timbres et de tampons. Cette lettre, postée d’Argentine, avait mis trois
mois à parvenir à sa destinataire.
    Léa descendit en courant vers la terrasse, serrant
la lettre contre son cœur. Là, assise sur l’inconfortable petit banc de fer où
aimait le soir se reposer son père, elle déchira fébrilement l’enveloppe.
    Buenos Aires, le 6 mars 1946
    Mon bel ange,
    Il sera donc toujours dit que nous n’arriverons
pas à nous rejoindre et à vivre tranquillement notre amour. Après ton départ de
Nuremberg, j’espérais te retrouver très vite à Paris. La veille de mon retour, le
gouvernement français m’a envoyé à Moscou d’où je t’ai écrit – mais
je suis bien sûr qu’aucune de mes lettres ne t’est parvenue, tant nos camarades
soviétiques voient des espions partout, et je répugnais à utiliser la valise
diplomatique pour mon courrier amoureux. Pourquoi ? penses-tu, car c’est
cela que tu penses, n’est-ce-pas ? J’ai toujours eu scrupule à mélanger ma
vie professionnelle et ma vie privée. De passage pour vingt-quatre heures à
Paris, à mon retour d’URSS, je me suis précipité chez Laure, rue
Grégoire-de-Tours. Tu venais de partir pour Montillac, malade, m’a-t-elle dit, et
totalement déprimée. Fou d’inquiétude, j’ai essayé de t’appeler, impossible d’avoir
une ligne. J’ai dû repartir pour Berlin le lendemain à l’aube sans avoir pu te
joindre. Plus tard, j’ai eu l’explication de ton état quand j’ai revu Sarah et
qu’elle m’a raconté ce que tu sais. J’ai été dur avec elle, lui reprochant

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