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Noir Tango

Noir Tango

Titel: Noir Tango Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Régine Deforges
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un enfant…
    — Un enfant ! Voulez-vous qu’il
vous raconte, « cet enfant », ce qu’il a connu là-bas et pire, ce qu’il
a fait lui-même ? L’enfant dont vous parlez n’existe plus, il est mort à
Mauthausen, à Buchenwald, à Auschwitz, à Birkenau, à Dachau, vous avez le choix.
Cet enfant a la haine au cœur et ce n’est pas moi qui l’ai contaminé.
    — Dans l’enfer des camps, j’ai prié
pour nos tortionnaires. Car c’est notre fierté, à nous autres Français, d’appartenir
à un peuple pour lequel il n’est pas tolérable, il n’est pas admissible, dût-on
y risquer sa peau, que des hommes, quels qu’ils soient, soient traités de la
façon dont nous avons été traités ; mais c’est par la justice et la seule
justice que nous avons le droit de nous venger, car malgré tout ils sont nos
frères, ils sont nôtres puisqu’ils sont humains.
    — Arrêtez, je vous en prie, vous n’avez
pas le droit de comparer les victimes aux bourreaux. Vous ajoutez à mes
souffrances une douleur insupportable.
    — Pardonnez-moi de vous faire souffrir
mais je me dois, en tant que prêtre, de vous dire que vous faites fausse route.
Devenus maîtres, comment les faibles d’hier ne deviendraient-ils pas à leur
tour bourreaux si ne leur est pas, aussitôt la puissance entre leurs mains, redite
la loi : « Sers en premier le plus souffrant », ce qui n’est
rien d’autre que : « Aime comme toi-même ton prochain » ?
    — Gardez vos bonnes paroles. J’ai eu
tort de me confier à vous. Que pouvais-je attendre d’un prêtre de cette
religion qui nous a fait tant de mal.
    Le père Henri baissa la tête, l’air soudain
très malheureux.
    — Je sais… L’intolérance de l’Église
catholique envers les juifs n’est certainement pas étrangère à l’extermination
du peuple juif. Mais nous sommes nombreux dans son sein à en demander pardon.
    — Pardon… pardon… c’est tout ce que
vous savez dire ! C’est peut-être là votre affaire, ce n’est pas la nôtre.
    — Ma pauvre enfant !…
    — Je ne suis pas votre enfant !… Oh,
excusez-moi !
    Sarah, dans un grand geste de révolte, venait
de bousculer Léa et de renverser le plateau et les verres qu’elle portait.
    — Tu ne peux pas faire attention, dit
Léa avec humeur.
    — Je suis désolée, mais le père…
    — Ah, je vois, encore une de vos
discussions. Je ne comprends pas, mon père, que vous vous obstiniez à vouloir
lui faire entendre raison. Moi, il y a longtemps que j’ai renoncé.
    Le père Henri ne répondit pas, occupé à
aider Sarah à ramasser les morceaux de verre.
    Léa s’était prise pour le père Henri d’une
grande affection. Il n’avait ni la haute stature de son oncle Adrien, ni son
éloquence, mais il y avait chez ces deux religieux un amour sincère des hommes
et une grande compréhension de leurs souffrances. Il y avait cependant chez le
capucin une naïveté qui n’existait pas chez le dominicain, quelque chose de l’enfance.
L’ami de Jean Lefèvre avait une confiance illimitée en son Dieu et en son amour
pour ses créatures. De ses soirées passées à Montillac à se promener dans les
vignes ou bien sur la terrasse ou encore assise dans le bureau de son père, Léa
gardait le souvenir de longues conversations sur les mystères de l’amour divin
et du rôle de l’homme sur la terre.
    « La seule gloire véritable pour le
Christ, c’est d’être reconnu pour ce qu’il est, c’est-à-dire Amour infini. Libre
à nous d’y répondre ou non ! L’enfer, ce n’est pas les autres, c’est
soi-même en refus d’aimer. Se voir dans la glace de l’éternité tel qu’on s’est
fait ! Et le salut c’est, dans le rejet de l’illusoire, cette rencontre
avec l’essentiel. N’ayons pas peur de vivre les yeux ouverts, ne se cachant
rien : ni les horreurs du mal ni les émerveillements du beau ; n’ayons
pas peur que nos pas et nos jours n’aillent vers rien ni personne. Le mal, à
mes yeux, c’est en grande partie de croire orgueilleusement qu’on se suffit à
soi-même. C’est le sentiment de sa propre suffisance et le mépris de l’autre
poussé jusqu’à l’absurdité. Scandale de la vie bafouée, du gaspillage, de l’indifférence
aux vieillards et aux pauvres, aux affamés, aux opprimés, aux sans-travail, aux
exclus de toutes sortes… Tout cela, c’est notre responsabilité, notre problème,
pas ceux de Dieu. Le chemin de la vie, celui de la paix passent,

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