Noir Tango
réunion. Léa ne cherchait pas à dissimuler sa tristesse et ne
remarquait ni les regards énamourés de Daniel ni ceux, jaloux, de Laure, pas
plus qu’elle ne se souciait de Jean maintenant assuré qu’elle ne l’aimerait
jamais et que, même absent, elle ne pourrait oublier son amant. Cependant, Jean
avait cru remarquer chez son rival comme une incertitude, un malaise sournois. Il
repoussait le vague espoir que cela faisait naître en lui. Si le bonheur de Léa
était au prix de son sacrifice, il était prêt à s’éloigner et à quitter cette
terre qu’il adorait. François et Sarah n’avaient rien dit de leur projet. Le
cœur fermé à tout sauf à sa vengeance, Sarah regrettait de s’être tue : on
aurait gagné du temps. Quant à François, il se reprochait sa lâcheté. Albertine
souffrait et se disait que c’était sans doute un des derniers repas qu’elle
partageait avec ses trois nièces réunies. Madame Lefèvre ne pouvait s’empêcher
de penser que son fils Raoul avait passé les dernières heures de sa vie dans
cette maison. Le père Henri, qui avait parlé longuement avec chacune des
personnes présentes, priait tout bas que Dieu leur donne la force de surmonter
les épreuves qui les attendaient. Le prêtre se sentait impuissant à réconforter
ses amis et cela était pour lui d’une grande amertume.
Léa et François ne dormirent pas de la nuit.
Ils firent plusieurs fois l’amour mais ne purent trouver dans le plaisir l’apaisement
de leur angoisse. Au petit matin, François trouva le courage de lui annoncer
son mariage avec Sarah. Léa l’écouta en silence. Surpris de son manque de
réaction, il l’interrogea.
— Pourquoi ne dis-tu rien ?… Tu as
bien compris que cela ne changera rien entre nous et qu’après, tout redeviendra
comme avant ?… Parle, dis quelque chose.
Nue, Léa se leva, alluma une cigarette et
alla à la fenêtre. Il y avait de la brume, le soleil qui se levait avait du mal
à percer. L’air était lourd, cela sentait l’orage. À son tour, François alluma
une cigarette et la rejoignit. Il plaqua son corps contre le sien et la serra
contre lui. Jamais il ne s’était senti aussi désemparé que devant cette femme
silencieuse dont le corps raidi disait le chagrin.
— Mon petit cœur, quand tout sera fini,
je reviendrai, tout sera à nouveau comme avant…
— Non !
— Si, je te le promets…
— Tais-toi, ne dis rien, tu te mens à
toi-même… Rien ne sera comme avant, non à cause de ce mariage, mais à cause de
ce que vous allez faire… Je peux comprendre Sarah, mais toi ?…
— Elle a besoin de moi.
— Tu me l’as déjà dit. Ce n’est pas une
raison. Tu devais tout faire pour l’éloigner de cette idée…
— J’ai essayé.
— Mais toi, pourquoi t’engages-tu dans
cette aventure puisque, si j’ai bien compris, tu trouves cela inutile ?
— Mon amour, comment t’expliquer… Je me
sens dans l’obligation d’aider Sarah. Son mari était mon meilleur ami, j’aimais
son père comme je n’ai jamais aimé le mien. Même folle, je sens dans cette
cause une vérité. Inutile, dis-tu, nécessaire pour beaucoup. Je ne partage pas
tous les points de vue des vengeurs et cependant, je comprends leurs
motivations.
— Moi aussi, je les comprends. Mais
quand cela s’arrêtera-t-il ? Ne pouvons-nous faire confiance en la justice
pour punir ces gens-là ?
— Tu as raison sur le fond, mais dans
la réalité, tu sais bien qu’elle s’applique à un petit nombre. Sarah et ses
compagnons ne peuvent supporter l’idée que de grands criminels puissent
échapper à une juste punition.
— Est-ce à eux d’en décider ?
— Plus que d’autres, ils en ont le
droit.
Léa se retourna et le regarda dans les yeux.
Elle se sentait plus forte d’avoir parlé, d’avoir exprimé ses doutes et de
savoir qu’il les partageait. Elle le comprenait et savait qu’à sa place elle
ferait la même chose. Une grande douceur faite de tristesse et de lassitude l’envahit.
Comme elle aimerait passer ses jours et ses nuits contre lui, à le regarder. Que
de tendresse dans le sourire qu’elle lui adressa !
Oh, ce sourire !… Il ne s’était pas
trompé, elle était telle qu’il l’imaginait, généreuse et forte. Bouleversé, il
la regardait avec une intensité presque douloureuse. Leurs regards s’accrochaient
l’un à l’autre, confiants, apaisés. Rien de ce qui allait leur advenir ne
parviendrait à détruire cette
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