Noir Tango
pour les
individus comme pour les peuples, par l’enrichissement du dialogue et le
consentement au partage, quel que soit le nom qu’on lui donne. Les folies
sanglantes auxquelles nous assistons ne sont-elles pas souvent l’exacerbation
du désespoir devant tous les refus, tous les rejets ? Mon angoisse, c’est
la conviction, la prescience que l’humanité va inéluctablement à sa perte si
elle ne se remet pas en question, si elle ne retrouve pas d’urgence le sens de
l’Éternel et son corollaire : l’exigence de l’Amour avec un grand A. Il n’y
a pas d’autre choix que la naissance d’un nouvel homme ou le risque de voir l’humanité
devenue folle disparaître de l’histoire universelle. Le nouvel homme, c’est
celui qui aura pris conscience qu’on ne peut être complètement heureux sans les
autres, ni à plus forte raison contre les autres. Celui aussi qui sera
convaincu que, s’il faut poursuivre la lutte pour faire régner la liberté dans
les lieux et dans les cœurs où elle ne règne pas encore, il faut également
garder à l’esprit le but ultime de cette liberté, son sens autre qu’être libre
pour être libre. Sinon, au lieu de se libérer, on retombe sous l’oppression (celle
de l’idéologie, de l’intolérance, de la haine) ou dans l’esclavage (celui de la
puissance, de l’argent, de l’égoïsme forcené). Le chemin de la vie, celui de la
paix, passent, pour tous les individus comme pour les peuples, par l’enrichissement
du dialogue et le consentement au partage, quel que soit le nom qu’on donne. »
Comme elle aurait voulu partager sa foi, croire
en l’homme nouveau, libre et généreux, croire en son désir de paix, d’amour de
l’autre. Rien autour d’elle ne l’annonçait et les propos de Sarah et de Daniel
battaient en brèche ceux de l’homme de Dieu. Avec un serrement de cœur, elle
pensa à son oncle Adrien. Plus que jamais, en ce moment, il lui manquait. Même
ayant perdu la foi, il aurait su, elle en était sûre, trouver les mots d’espoir
pour apaiser les angoisses, les questions que Léa se posait sur la vengeance et
la justice. Dans son esprit troublé, se heurtaient les mots d’amour du père
Henri et les cris de haine de Sarah. Lequel des deux avait raison ? Quand
elle quittait le prêtre, elle était pleine du désir d’aider à l’édification d’un
monde nouveau, mais après une discussion avec Sarah, son cœur était plein de
violentes rancunes et du désir d’éliminer ceux qui avaient fait tant souffrir
son amie.
L’arrivée de Françoise et de Laure fit
diversion aux pensées désordonnées de Léa.
— Encore des verres cassés, si cela
continue, il n’y en aura bientôt plus, dit Françoise d’un ton de reproche.
— C’est de ma faute, dit Sarah, j’ai
bousculé Léa et son plateau. Je vais chercher d’autres verres.
— Je viens avec vous, dit le père Henri.
Pour la première fois depuis qu’elles
étaient réunies, les trois sœurs se retrouvèrent seules. Laure prit ses aînées
par le bras.
— François doit retourner à Paris dans
deux jours, je ne sais pas comment annoncer aux tantes que je repars avec lui. Pouvez-vous
m’aider ?
— Pourquoi ne restes-tu pas jusqu’à mon
mariage, c’est dans trois semaines ?
— Je reviendrai. J’ai promis à des amis
de partir dans le Midi avec eux.
— Quelque chose me dit que si Daniel
restait, tu resterais aussi, fit Françoise avec un sourire malicieux.
Laure rougit violemment et détacha son bras
de celui de sa sœur.
— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
— Je ne suis pas la seule à l’avoir
remarqué, tu ne le quittes pas d’une semelle, je suis même étonnée qu’il ne
soit pas avec toi. Dès qu’il s’éloigne, tu le suis du regard ou tu te
précipites à sa recherche, tu acquiesces à la moindre de ses paroles, tu ris
aux éclats à la plus insignifiante de ses plaisanteries, tu…
— Oh, ça va !… tu ferais mieux de
t’occuper de ton mariage plutôt que de moi et de Daniel.
— En attendant le tien.
Laure rougit à nouveau et s’enfuit en
courant vers la maison. Françoise et Léa la regardèrent partir en riant.
— Pauvre petite sœur, je m’en veux de l’avoir
taquinée, dit Françoise en s’accoudant au parapet.
— Laisse, ce n’est pas grave, elle s’amourache
du premier venu qui a de beaux yeux. Rappelle-toi Maurice Fiaux !
— Tu ne vas pas comparer ce criminel au
cousin de Sarah !
— Je ne
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