Noir Tango
renoncerais à ce projet
insensé. N’as-tu pas pensé à moi ?
— Ma chérie, je pense sans cesse à toi.
Plus tard je divorcerai et je t’épouserai…
— Parce que tu crois que je vais
attendre bien sagement que tu décides de divorcer ? Tu n’es pas le seul
homme sur terre…
— C’est vrai, mais je suis le seul que
tu aimes.
Alors là, il ne manquait pas de culot !…
C’était pourtant vrai qu’elle l’aimait, ce salaud, et que l’idée qu’il s’intéressât
à une autre femme la faisait souffrir…
— Il n’y a rien entre Sarah et moi et
il n’y aura jamais rien. Mais je dois la protéger et l’aider…
— Et moi, cet après-midi, m’as-tu
protégée ?
Comme il avait l’air soucieux soudain !
— Je donnerais je ne sais quoi pour que
tu ne sois pas mêlée à tout cela…
— C’est un peu tard. Comme je n’arrivais
pas à te joindre, j’ai rencontré un ami de Sarah…
— Avec de grosses moustaches rousses ?
— Oui, il m’a dit que la chasse
pourrait commencer plus tôt que prévu…
— Ah, il a dit cela, fit-il, songeur.
— Est-ce que ça veut dire qu’ils ont
retrouvé ces horribles femmes dont Sarah m’a parlé ?
— Je n’en sais rien, peut-être.
— S’ils les attrapent, que vont-ils
leur faire ?
— Ce n’est pas difficile à deviner.
Cela ressemblait à du mauvais roman, ce
dialogue dans cette brasserie parisienne, brillamment éclairée, remplie d’hommes
politiques, de vedettes de cinéma, d’écrivains, de jolies femmes bavardant sous
les céramiques de Fargue… Léa avait l’impression de vivre un rêve absurde ;
en face d’elle, l’homme qu’elle aimait et qui l’aimait en avait épousé une
autre, cette autre qui ne songeait qu’à sa vengeance, avait des compagnons
louches, se faisait mitrailler en pleine rue, la chargeait de codes secrets
tandis qu’elle se faisait agresser en plein jour par un moustachu qui proférait
des menaces… C’était tellement fou qu’elle éclata de rire.
Décidément cette gamine le surprendrait
toujours ; il la retrouvait abattue, silencieuse, agressive, mordante, méchante
et maintenant rieuse. Quelle fille imprévisible ! Pas le temps de s’ennuyer
avec elle. Cependant, derrière ce rire, il savait son désarroi, sa peur, son
chagrin et s’en voulait d’en être la cause. « Je devrais la protéger, la
rendre heureuse. Au lieu de cela, je l’entraîne malgré moi dans une aventure
dangereuse où elle risque sa vie ; je suis une belle ordure. » Comme
il se sentait vieux et las !… Une envie de la prendre et de fuir vers le
premier pays venu, d’abandonner Sarah et ses projets meurtriers, son poste
auprès du gouvernement, ses biens… partir seul avec elle, loin des dangers qui
rôdaient autour d’eux, la regarder vivre et l’aimer, lui faire des enfants…
— Tavernier, enfin je vous trouve !
Samuel Zederman se tenait debout près de la
table.
— J’ai fait tous les bistrots du coin à
votre recherche. Dépêchez-vous, rendez-vous place des Vosges… Inutile d’emmener
mademoiselle.
Ils finirent rapidement leur dîner en
silence.
François la raccompagna rue
Grégoire-de-Tours. Laure n’était toujours pas rentrée.
16.
Léa n’arrivait pas à dormir. Minuit sonna à
un des clochers du voisinage. Elle se leva, fouilla dans la garde-robe de sa
sœur. Quelques instants plus tard, elle quittait la rue Gré-goire-de-Tours
vêtue d’une longue jupe noire et d’un pull moulant de la même couleur, ses
cheveux attachés en queue de cheval. Par les rues mal éclairées, elle se
dirigea vers la rue Dauphine, cherchant cette cave dont lui avait parlé Laure :
« Le Tabou ».
À l’angle de la rue Christine et de la rue
Dauphine, une bande de jeunes gens fumaient et bavardaient, appuyés contre une
drôle de voiture décapotable à damiers jaunes et noirs. Elle s’avança vers un
des garçons et demanda :
— Connaissez-vous « Le Tabou » ?
— Voilà bien le plus mignon rat de cave
du quartier. Qu’en penses-tu, Toutoune ?
Une fille très jeune, à la poitrine serrée
dans un pull à grosses côtes, les fesses moulées dans un pantalon de velours
côtelé, au grand nez et aux longs cheveux noirs, regarda Léa de haut en bas.
— Ouais, pas mal. Et toi, Anne-Marie, comment
la trouves-tu ?
— Sympa, répondit une mince fille
rousse.
Léa commençait à être agacée d’être ainsi
dévisagée.
— Je cherche « Le
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