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Noir Tango

Noir Tango

Titel: Noir Tango Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Régine Deforges
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on se croirait dans un roman de la collection « Signes de
Piste », vous ne connaissez pas ?… C’est dommage, c’est plein d’aventures…
    — Mademoiselle, il ne s’agit pas d’un
roman d’aventures.
    — Je le sais bien et c’est dommage.
    Que cette jeune fille était énervante !…
qu’est-ce que Tavernier pouvait bien lui trouver ?… Certes, elle était
plutôt jolie, mais à côté de Sarah…
    — Soyez prudente quand même, les gens
que nous avons en face de nous ne sont pas des héros de roman… vous l’avez bien
vu hier. Sortez la première… Au revoir.
    Une fois sur le
trottoir, Léa se demanda où aller. Elle n’avait envie d’aller ni rue de l’Université
ni rue Grégoire-de-Tours. Machinalement, elle se dirigea vers le
Théâtre-Français. Dans la rue de l’Odéon, elle s’arrêta devant la vitrine
éclairée d’une librairie. À l’intérieur, plusieurs personnes discutaient avec
animation. Une belle femme brune aux cheveux relevés, au beau visage froid se
tenait à l’écart, écoutant un homme décoiffé, mégot aux lèvres, discutant avec
de grands gestes : André Malraux. Elle se souvint que Raphaël Mahl lui
avait fait lire La Condition humaine.
    Pipe à la bouche, un homme très laid, à
lunettes d’écaillé, l’écoutait, attentif ; une petite femme un peu
boulotte, au chignon soigneusement tiré, vêtue d’une robe grise d’orpheline, mettait
de l’ordre dans une pile de livres. Et cet homme chauve portant un foulard
rouge : André Gide !… Son oncle Adrien, contre l’avis de toute la
bourgeoisie bordelaise, aimait ses écrits. Les deux hommes s’étaient rencontrés
à Paris et avaient échangé quelques lettres, chose dont se montrait très fier
le dominicain. Une femme aux cheveux courts, habillée à la garçonne et une
autre de dos… Victoria Ocampo parlant avec François Tavernier. Ah non, pas lui
maintenant ! À ce moment-là, son regard croisa celui de l’Argentine, qui
désigna la vitrine à son interlocuteur. Avant que Léa ait eu le temps de réagir,
il était devant elle et la tenait par le bras.
    — Où étais-tu passée, j’étais fou d’inquiétude !…
    — Laisse-moi !
    — Sarah m’a tout raconté, il vaut mieux
que tu retournes à Montillac.
    — J’y retournerai si je veux, tu n’as
pas d’ordres à me donner.
    — Ce n’est pas un ordre que je te donne,
mais un conseil pressant.
    — Garde tes conseils…
    — Mademoiselle Delmas, on se retrouve
plus tôt que prévu.
    — Bonsoir, madame.
    — Entrez, je vais vous présenter à mes
amis.
    N’osant pas refuser, Léa entra dans la
librairie.
    — Adrienne, je vous présente ma jeune
amie, Léa Delmas. Léa, voici Adrienne Monnier et Sylvia Beach qui sont
libraires toutes les deux, madame Simone de Beauvoir et monsieur Jean-Paul
Sartre, messieurs André Gide et André Malraux… Gisèle Freund, qui était avec
moi en Argentine pendant la guerre et qui est de passage à Paris, dit Victoria
Ocampo.
    Après l’avoir saluée, Sartre et Malraux
reprirent leur conversation ; Gide prit rapidement congé.
    — Partons, fit Tavernier à voix basse.
    Ils s’en allèrent à leur tour, après avoir
promis à Victoria Ocampo de venir prendre le thé chez elle le lendemain.
    — As-tu dîné ?
    Léa fit non de la tête.
    — Il faut manger, viens, ajouta-t-il en
lui prenant le bras.
    Ils marchèrent sans échanger un mot jusqu’à
Saint-Germain-des-Prés. Ils entrèrent dans la brasserie Lipp.
    Le fils du patron, Roger Cazes, vint les
accueillir.
    — Bonsoir, monsieur Tavernier. Je vous
donne la même table qu’hier ?
    Il les installa près de la caisse. Un maître
d’hôtel leur apporta la carte.
    — Prendrez-vous un apéritif ?
    Sans la consulter, François répondit :
    — Deux coupes de champagne, s’il vous
plaît.
    À une autre table, Jean Cocteau et Marie
Bell dînaient. Attablés un peu plus loin, elle reconnut Georges Bidault et
Maurice Schumann. Tous les deux firent un signe de tête dans leur direction.
    — Maintenant, raconte.
    Léa but une gorgée de champagne.
    — Il n’y a rien à raconter, ta femme t’a
déjà mis au courant.
    — Arrête, s’il te plaît, pas ce ton
entre nous. Je t’avais parlé de ce projet de mariage, c’est fait, voilà tout.
    — Voilà tout ! s’exclama Léa si
haut que les regards des dîneurs se tournèrent vers elle. Tu y vas un peu fort,
continua-t-elle en baissant la voix, je croyais que tu

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