Nord et sud
d’Oxford aux dépens de sa ville natale ;
nous lui avons dit, ou plus exactement, je crois, Margaret lui a dit que cela lui
ferait du bien de fréquenter un peu les manufacturiers de Milton.
— Je vous demande bien pardon. Margaret pensait que cela
ferait du bien aux manufacturiers de Milton de fréquenter un peu plus les gens d’Oxford.
Ce n’est pas ce que vous avez dit, Margaret ?
— Au vrai, je pensais que cela ferait du bien aux deux de
se fréquenter un peu plus. Je n’avais pas le sentiment que c’était mon idée plus
que celle de papa.
— Alors vous voyez, Mr Thornton, nous aurions dû nous
édifier lorsque nous étions en bas, au lieu de parler des familles disparues des
Smith et des Harrison. Quoi qu’il en soit, je veux bien faire ce que l’on attend
de moi, et vous demande quand, vous autres gens de Milton, entendez vivre un peu ?
Votre existence semble entièrement consacrée à cette entreprise : rassembler
les objets matériels nécessaires à la vie.
— Par « vivre un peu », je suppose que vous voulez
dire profiter de la vie ?
— Oui, profiter de la vie. Je ne précise pas comment, car
j’imagine que nous considérons l’un et l’autre le simple plaisir comme une notion
très restrictive par rapport à ce que nous entendons par profiter de la vie.
— Je préférerais que vous définissiez le sens que vous donnez
à cette expression.
— Eh bien, profiter des loisirs, profiter du pouvoir et
de l’influence que donne l’argent. Vos efforts à tous semblent tendre vers un but,
acquérir de l’argent. Pour en faire quoi ?
Mr Thornton resta un instant silencieux avant de déclarer :
— Je ne saurais vraiment pas vous le dire. Mais en ce qui
me concerne, ce n’est pas l’argent que je recherche.
— Que recherchez-vous alors ?
— Voilà une question directe. Il faudrait donc que je me
dévoile devant pareil examinateur ! Je ne suis pas sûr d’y être prêt.
— Non ! s’exclama Mr Hale. Évitons les questions
personnelles. Vous n’êtes ni l’un ni l’autre très représentatifs, car vous avez
chacun une individualité très marquée.
— Je ne suis pas sûr de considérer cela comme un compliment.
J’aimerais être représentatif d’Oxford, avec sa beauté, sa culture et son passé
glorieux. Qu’en pensez-vous, Margaret ? Ai-je lieu d’être flatté ?
— Je ne connais pas Oxford. Mais il y a une différence entre
le fait d’être représentatif d’une ville ou de ses habitants.
— Très vrai, Miss Margaret. Maintenant, je me souviens :
ce matin, vous étiez contre moi, et vos préférences allaient à Milton et à ses manufactures.
Margaret perçut une lueur de surprise dans le bref regard que
Mr Thornton lui jeta, et elle fut contrariée de ce que pouvaient laisser entendre
les paroles de Mr Bell. Celui-ci poursuivit :
— Ah, j’aimerais bien pouvoir vous montrer High Steet et
notre square Radcliffe. Je laisse de côté nos collèges tout comme j’autorise
Mr Thornton à laisser de côté ses manufactures lorsqu’il parlera des charmes
de Milton. J’ai le droit de dénigrer ma ville natale. Souvenez-vous que je suis
né à Milton.
Mr Thornton, qui n’était pas d’humeur à plaisanter, fut
plus agacé qu’il n’eût dû l’être par tout ce que disait Mr Bell. À un autre
moment, il aurait pu s’amuser de la condamnation assez acerbe que faisait celui-ci
d’une ville où la façon de vivre était si à l’opposé de toutes les habitudes qu’il
avait prises ; mais pour l’heure, il était suffisamment piqué au vif pour essayer
de défendre ce que son interlocuteur n’avait jamais eu sérieusement l’intention
d’attaquer.
— Je ne considère pas Milton comme une ville modèle.
— Même pas en matière d’architecture ? demanda sournoisement
Mr Bell.
— Non ! Nous avons eu trop à faire pour nous préoccuper
de simples apparences extérieures.
— Ne parlez pas de « simples » apparences extérieures,
dit Mr Hale avec douceur. Elles nous influencent tous, dès l’enfance, chaque
jour de notre vie.
— Attendez un peu, répliqua Mr Thornton. Il ne faut
pas oublier que nous sommes d’une race différente de celle des Grecs, pour qui la
beauté était tout, et qui auraient fort bien entendu Mr Bell lorsqu’il parlait
d’une vie consacrée aux loisirs et à la jouissance sereine, dont l’essentiel passait
par les sens. Ne croyez pas que je les méprise, mais je ne
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