Nord et sud
semblerait pas au complet sans la
présence de Margaret. Laquelle avait la nostalgie de cette vieille demeure, et de
la tranquillité de la vie bien ordonnée et monotone qu’on y menait. Elle l’avait
parfois jugée ennuyeuse à l’époque ; mais depuis, elle avait été si ballottée
par la vie et se sentait si épuisée par sa lutte avec elle-même ces derniers temps
qu’elle pensait que même une existence stagnante lui apporterait repos et délassement.
Aussi commença-t-elle à envisager une longue visite aux Lennox à leur retour en
Angleterre comme à un moyen susceptible de lui donner non pas de l’espoir, non,
mais le loisir nécessaire pour pouvoir retrouver sa force et sa maîtrise d’elle-même.
Maintenant, elle avait l’impression que tous les sujets convergeaient vers
Mr Thornton, comme si, quelque effort qu’elle fît, elle ne pouvait l’oublier.
Il suffisait qu’elle aille voir Higgins, pour entendre parler de lui ; son
père avait repris ses séances d’étude avec lui et citait perpétuellement ses opinions ;
il n’était pas jusqu’à la visite de Mr Bell qui n’amenât sur le tapis le nom
de son locataire : il écrivait en effet qu’il devait passer une grande partie
de son temps avec Mr Thornton, car un nouveau bail était en préparation, sur
les conditions duquel ils devraient s’entendre.
CHAPITRE
XV
Fausses notes
« Je
ne suis pas lésé quand je n’ai aucun droit,
On ne
peut rien m’ôter lorsque rien n’est à moi,
Pourtant
l’on ne saurait apaiser ma douleur ;
Si ce
que je n’ai point d’autrui fait le bonheur. »
Wyatt [89]
Margaret ne s’était pas attendue à retirer grand plaisir de la
visite de Mr Bell. Elle s’en était réjouie seulement pour son père, mais lorsque
son parrain arriva, elle éprouva aussitôt pour lui l’amitié la plus naturelle du
monde. D lui déclara qu’elle n’avait aucun mérite à être ce qu’elle était, à savoir
une jeune fille absolument selon son cœur ; qu’elle avait hérité du pouvoir
de s’assurer de son affection rien qu’en entrant dans une pièce ; et elle,
en retour, apprécia fort de le trouver si jeune et si vif sous son mortier et sa
robe de professeur.
— Vif et jeune en enthousiasme et en bonté, je précise.
Car je dois vous avouer, hélas, que je tiens vos opinions pour les plus désuètes
et les plus poussiéreuses qu’il m’ait été donné d’entendre depuis longtemps.
— Écoutez-la, votre fille, Hale ! Son séjour à Milton
l’a corrompue. C’est une démocrate, une républicaine révolutionnaire, membre de
la Société pour la Paix, une socialiste...
— Tout cela parce que je suis pour le progrès du commerce,
Papa ! Mr Bell voudrait que nous en soyons restés à troquer des peaux
de bêtes contre des glands.
— Non, pas du tout. J’aimerais qu’on pioche la terre pour
y faire pousser des pommes de terre. Et qu’on tonde les peaux de bête pour tisser
du drap avec la laine ainsi récoltée. Il ne faut pas exagérer, ma petite demoiselle.
Mais toute cette agitation me fatigue, comme tous ces gens qui n’ont qu’un but,
passer devant les autres tant ils ont hâte de s’enrichir.
— Certes, tout le monde n’a pas la chance de pouvoir rester
confortablement assis dans un logement dont il a la jouissance dans l’enceinte d’un
collège, en laissant croître ses richesses sans lever le petit doigt, dit
Mr Hale. Je suis persuadé que beaucoup ici seraient bien contents si leurs
biens grandissaient comme les vôtres sans qu’ils aient à s’en soucier.
— Ne croyez pas cela. Ce qui leur plaît, c’est de devoir
se démener et lutter. Et pour ce qui est de rester assis tranquillement, de méditer
sur les leçons du passé ou d’imaginer l’avenir à partir de travaux rigoureux entrepris
dans un esprit prophétique... Ah, bah ! je ne crois pas qu’il y ait à Milton
un seul homme qui soit capable de rester tranquillement assis. Or c’est un grand
art.
— Je soupçonne les gens de Milton de penser que ceux d’Oxford
ne savent pas bouger. Ce serait une bonne chose si les deux groupes se mélangeaient
un peu plus.
— Cela serait peut-être bénéfique aux gens de Milton. Beaucoup
de choses pourraient leur être bénéfiques alors qu’elles seraient extrêmement déplaisantes
pour d’autres qu’eux.
— N’êtes-vous pas vous-même originaire de Milton ?
demanda Margaret. Je
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