Nord et sud
toi pour parler de Milton avec Mr Colthurst. Ah, mais c’est vrai, ce
monsieur vient de Milton aussi ! Finalement, ce sera parfait !
Mr Colthurst pourra le questionner à loisir sur tous les sujets qui l’intéressent
et ce sera très amusant de retrouver les remarques avisées de Mr Thornton
et ton expérience dans le prochain discours de Mr Colthurst à la Chambre.
Franchement, Henry a eu là une fameuse idée ! Quand je lui ai demandé si
son invité était un homme qui risquait de nous faire honte, il m’a répondu :
« Pas si vous avez deux sous de bon sens, petite belle-sœur. » J’en
conclus qu’il a une prononciation correcte, ce qui n’est pas si fréquent dans
le Darkshire, hein, Margaret ?
— Mr Lennox n’a pas dit pourquoi Mr Thornton
était venu à Londres ? Ces affaires juridiques ont-elles un rapport avec
ses biens ? demanda Margaret, d’une voix forcée.
— Oh, il a fait faillite, ou quelque chose de ce genre ;
Henry te l’a dit le jour où tu avais si mal à la tête, de quoi s’agissait-il
déjà ? (Là, Dixon, c’est parfait. Mss Hale nous fait honneur, n’est-ce
pas ?) Je voudrais bien être grande comme une reine et brune comme une
bohémienne, Margaret !
— Que disais-tu à propos de Mr Thornton ?
— Oh, je n’y entends rien à ces affaires juridiques.
Henry se fera un plaisir de te donner tous les détails. Je sais que l’impression
que j’ai retenue de cette conversation, c’est que Mr Thornton a eu des revers,
que c’est un monsieur très respectable et que je dois me montrer très civile
avec lui ; et comme je ne savais trop comment m’y prendre, je suis venue
te demander ton aide. Et maintenant, descends avec moi et repose-toi un quart d’heure
sur le divan.
Le beau-frère privilégié arriva de bonne heure ; et
Margaret, en rougissant, lui posa les questions qui la préoccupaient au sujet
de Mr Thornton.
— Il est venu à Londres afin de sous-louer la manufacture
de Marlborough, ou plus exactement, l’usine et la maison attenante. Il n’a pas
les moyens de les garder ; il faut donc examiner les actes de propriété et
les baux, et rédiger des contrats. J’espère qu’Edith va le recevoir aimablement ;
j’ai vu qu’elle était un peu contrariée par la liberté que j’ai prise en la
priant de l’inviter. Mais j’ai pensé qu’il vous serait agréable que nous lui
fassions cette politesse ; au reste, on prend toujours grand soin de
montrer des égards à un homme qui est en train de perdre sa fortune.
Il avait baissé la voix pour parler à Margaret, auprès de
qui il était venu s’asseoir ; mais en terminant sa phrase, il se leva
brusquement pour aller accueillir Mr Thornton, qui venait d’entrer, et le
présenter à Edith et au capitaine Lennox.
Margaret regarda avec inquiétude Mr Thornton pendant qu’il
était ainsi occupé. Il y avait bien plus d’un an qu’elle ne l’avait vu et il
avait beaucoup changé. Il dominait toujours les autres de sa haute stature, qui
lui donnait une aisance naturelle de mouvement et une certaine distinction ;
mais son visage paraissait vieilli et usé par les soucis ; il exprimait
pourtant un calme admirable, qui pénétrait ceux qui venaient d’apprendre son
revers de fortune d’admiration pour sa dignité profonde et son courage viril.
Dès son premier regard dans la pièce, il avait vu Margaret ; il avait
remarqué l’attention avec laquelle elle écoutait Mr Henry Lennox, et il s’approcha
d’elle avec l’air posé d’un vieil ami. Dès qu’il lui adressa la parole, les
joues de Margaret se colorèrent et le rose ne les quitta plus du reste de la
soirée. Elle ne semblait pas avoir grand-chose à lui dire et le déçut par la
tranquillité avec laquelle elle lui posa les questions d’usage sur ses
anciennes connaissances de Milton ; lorsque arrivèrent les autres invités,
plus proches que lui de la famille, il fut relégué au second plan, et parla de
temps à autre avec Mr Lennox.
— Ne trouvez-vous pas que Miss Hale a fort bonne
mine ? demanda Mr Lennox. Milton ne lui convenait pas du tout, à mon
avis, car lorsqu’elle est revenue à Londres, je n’en revenais pas de la voir
aussi changée. Ce soir, elle est éblouissante. Il faut dire qu’elle a repris
des forces. L’automne dernier, une promenade de trois kilomètres la fatiguait.
Vendredi soir, nous sommes montés à pied jusqu’à Hampstead et sommes revenus de
même. Or, samedi, elle
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