Nord et sud
qu’il fallait donc entretenir.
Quoi qu’il en soit, personne ne s’est manifesté pour les secourir et à ma connaissance,
Mrs Thornton n’est pas femme à attendre qu’une bienveillance tardive se déclare.
Aussi ont-ils quitté Milton. Je savais que Mr Thornton avait travaillé dans
une boutique et que c’est sur son salaire, ainsi que sur des miettes de revenus
en propre de sa mère, qu’ils ont subsisté pendant longtemps. Mr Bell m’a dit
que pendant des années, ils ne s’étaient nourris que de porridge à l’eau, et il
se demandait comment ils avaient fait. Mais bien après que les créanciers eurent
abandonné tout espoir de remboursement des dettes du défunt Mr Thornton (si
tant est qu’ils eussent escompté quoi que ce fût après son suicide), notre jeune
homme est retourné à Milton et est allé voir discrètement chacun d’entre eux pour
lui payer le premier versement des sommes dues. Il n’y a pas eu de bruit, ni de
rassemblement des créanciers. Tout s’est passé dans le silence, tranquillement,
mais tout a été finalement remboursé. Ce qui a été facilité par le fait que l’un
des créanciers, un vieillard revêche aux dires de Mr Bell, a pris Mr Thornton
avec lui comme une sorte d’associé.
— C’est une chance, dit Margaret. Quel dommage qu’une nature
telle que la sienne soit gâtée par la position d’industriel qu’il occupe à Milton.
— Comment cela, gâtée ? demanda son père.
— Oh, papa, parce qu’il évalue tout en fonction de la richesse.
Quand il a parlé des pouvoirs de la mécanique, il était évident qu’il les considérait
seulement comme de nouveaux moyens de développer le commerce et de gagner de l’argent.
Quant aux malheureux qui l’entourent, s’ils sont pauvres, c’est parce qu’ils sont
vicieux, et ils ne méritent pas sa sympathie parce qu’ils n’ont ni son tempérament
d’acier, ni les facultés qu’il lui donne pour s’enrichir.
— Non, pas vicieux. Il n’a jamais dit cela. Faibles et imprévoyants,
voilà les mots qu’il a employés.
Margaret rangeait l’ouvrage de sa mère, rassemblant les différents
accessoires, et se préparait à aller se coucher. Juste au moment de quitter la pièce,
elle hésita. Elle avait envie d’avouer une impression qui devrait, estimait-elle,
faire plaisir à son père, mais qui, si elle voulait aller jusqu’au fond de sa pensée,
n’irait pas sans le contrarier un peu
Elle avoua malgré tout :
— Papa, je dois reconnaître que Mr Thornton est un
homme remarquable ; mais en tant que personne, il ne me plaît pas du tout.
— Eh bien, à moi si ! répondit son père en riant. En
tant que personne, pour reprendre tes paroles, et sur tous les autres plans. Note
que je ne le prends pas pour un héros ni rien de la sorte. Maintenant, bonne nuit,
mon enfant. Ta mère a l’air extrêmement lasse ce soir, Margaret.
Depuis quelque temps, Margaret s’inquiétait de la mauvaise mine
de sa mère, et en entendant la remarque de son père, elle partit se coucher le cœur
étreint d’une angoisse diffuse. La vie à Milton ressemblait si peu à celle qu’avait
menée Mrs Hale à Helstone, où elle circulait sans cesse et se promenait souvent
en plein air. Or l’air lui-même était fort différent ici, où il semblait dépourvu
de tout pouvoir vivifiant. Les soucis domestiques pesaient si lourdement sur chacune
des femmes de la maison, et d’une façon si nouvelle et sordide qu’il y avait de
bonnes raisons de craindre que la santé de sa mère en était à présent sérieusement
affectée. D’autres signes indiquaient que Mrs Hale n’allait pas bien du tout.
Elle tenait de longs conciliabules avec Dixon dans sa chambre, d’où la fidèle servante
sortait souvent de méchante humeur et en larmes, comme c’était son habitude lorsque
sa maîtresse affligée réclamait sa compassion. Une fois, Margaret était entrée dans
la chambre de sa mère peu après le départ de Dixon, et l’avait trouvée agenouillée.
Comme elle sortait sans bruit, elle avait surpris quelques mots murmurés, manifestement
une prière pour demander la force et la patience nécessaires pour supporter de grandes
souffrances physiques. Margaret souhaitait avec ferveur rétablir l’intimité et les
liens de confiance qu’un trop long séjour chez sa tante Shaw avait brisés. À force
de caresses et de mots doux, elle essaya de retrouver le chemin du cœur de sa mère
et la chaleur de sa
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