Nord et sud
yeux ronds s’efforça tant bien que mal
de bouger plus doucement lorsqu’elle entendit le « chut ! » de Margaret.
Le spasme annonciateur de mort passa bientôt et Bessy se redressa.
— Je vais aller au lit, dit-elle, c’est là que je serai
le mieux, mais – elle saisit la robe de Margaret – vous reviendrez ? Je suis
sûre que vous reviendrez, mais promettez-le-moi !
— Je reviendrai demain, dit Margaret.
Bessy s’appuya contre son père, qui se mit en devoir de la porter
au premier étage. Lorsque Margaret se leva pour partir, il marmonna avec effort :
— Je voudrais bien qu’il y ait un Dieu, même si ce serait
que pour lui demander de vous bénir.
Margaret s’en alla, pensive et le cœur lourd.
Elle arriva chez elle en retard pour le thé. À Helstone, le manque
de ponctualité pour un repas était une faute grave aux yeux de sa mère. Mais à présent,
ce n’était plus qu’une des multiples petites irrégularités qui semblaient avoir
perdu leur pouvoir d’agacer Mrs Hale, à tel point que Margaret en venait presque
à regretter les anciennes récriminations.
— As-tu trouvé une domestique, ma petite fille ?
— Non, maman. Cette Anne Buckley n’aurait pas fait l’affaire.
— Et si j’essayais ? suggéra Mr Hale. Tout le
monde s’est frotté à cette tâche difficile. À mon tour. Je serai peut-être la Cendrillon
qui finira par trouver chaussure à son pied après tout !
Margaret eut du mal à sourire en entendant cette petite plaisanterie,
tant elle se sentait oppressée après sa visite chez les Higgins.
— Et que feriez-vous, papa ? Comment vous y prendriez-vous ?
— Ma foi, je m’adresserais à une bonne maîtresse de maison
qui me recommanderait quelqu’un qu’elle connaît ou qu’un de ses domestiques connaît.
— Soit. Mais où trouver cette bonne maîtresse de maison ?
— C’est fait. Ou plutôt, elle marche droit dans le piège
et tu l’attraperas demain si tu sais y faire.
— Que voulez-vous dire, Mr Hale ? demanda sa femme,
dont la curiosité était piquée.
— Ma foi, mon élève modèle, comme dit Margaret, m’a prévenu
que sa mère avait l’intention de rendre visite à ma femme et à ma fille demain.
— Mrs Thornton ! s’exclama Mrs Hale.
— La mère dont il nous a parlé ? s’enquit Margaret.
— Mrs Thornton, la seule mère qu’il a, je pense, dit
tranquillement Mr Hale.
— Je serai contente de la voir. Ce doit être une femme peu
banale, ajouta son épouse. Peut-être aurait-elle une parente qui serait contente
d’occuper la place que nous offrons. D’après ce qu’il dit, c’est une personne si
économe que j’aimerais bien trouver quelqu’un de sa famille.
— Ma chère amie ! je vous supplie de renoncer à cette
idée, s’écria Mr Hale, alarmé. Mrs Thornton est aussi fière et hautaine
à sa manière que notre petite Margaret à la sienne, et elle préfère ne plus songer
à la période ancienne des épreuves de la pauvreté et de la parcimonie dont il parle,
lui, si ouvertement. Quoi qu’il en soit, je suis sûr que cela lui déplairait fort
que des étrangers soient au courant.
— Je vous prie de remarquer, papa, que ce n’est pas du tout
mon genre de hauteur, si tant est que je sois hautaine ; vous avez beau m’en
accuser sans cesse, je ne suis pas du tout d’accord avec votre jugement.
— Je ne suis pas absolument sûr que ce soit son genre de
hauteur non plus, mais une ou deux choses que je sais d’elle me portent à le croire.
Les deux femmes n’accordaient pas assez d’importance au sujet
pour demander ce qu’avait dit Mr Thornton à propos de sa mère. Margaret voulait
seulement savoir si elle devait être à la maison pour attendre la visiteuse, ce
qui risquait de l’empêcher d’aller prendre des nouvelles de Bessy avant une heure
tardive, car elle consacrait toujours le début de la matinée aux tâches domestiques.
Puis elle se rappela qu’elle ne pouvait laisser sa mère seule pour recevoir cette
visite.
CHAPITRE
XII
Visites du matin
« Ma
foi, s’il le faut »
Sir Arthur
Helps [29] .
Mr Thornton avait eu quelque difficulté à persuader sa mère
de faire le geste de courtoisie qu’il attendait d’elle. Elle n’allait pas souvent
en visite ; quand c’était le cas, elle s’acquittait de ses devoirs en grand
apparat. Son fils lui avait donné une voiture, mais elle
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