Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
un bouclier qu’on appelle le pavois, il n’est que le petit roi d’une grosse tribu installée autour de Tournai, les Francs Saliens. À sa mort, il règne sur un immense royaume qui court d’un pied des Pyrénées au nord du Rhin. Il s’appelle Clovis (466-511), en trente ans il a donc réunifié la Gaule. Ce tour de force rend sa vie fascinante. La façon dont elle pèse sur la mythologie nationale depuis plus de mille cinq cents ans ne l’est pas moins. Voyons tour à tour ce que l’on peut retenir de l’une et l’autre.
Repères
– 480 : début du règne de Clovis sur les Francs Saliens
– 486 : Victoire à Soissons sur les troupes de Syagrius, général romain
– 496 (?) : Victoire de Tolbiac (près de Cologne) sur les Alamans, suivie du baptême à Reims
– 511 : mort de Clovis, partage de son royaume entre ses fils
La prodigieuse ascension du petit Franc peut se résumer en trois dates :
En 486, le jeune chef à longs cheveux (chez les Francs, la chevelure est l’insigne royal) dont la tribu servait hier encore de force d’appoint à l’armée romaine bat à Soissons le général romain Syagrius. Celui qui se vivait comme « le roi des Gaulois » tentait, à sa manière, de faire vivre un des lambeaux de la puissance de Rome. Il restera le dernier représentant d’un monde qui, après lui, n’existera plus dans cette partie-ci de l’Europe.
En 496, notre Franc vainc les Alamans à Tolbiac (près de Cologne). Doutait-il de ses forces ? Selon la tradition, c’est à l’occasion de cette bataille qu’il a juré de se convertir à la religion de sa femme si le Dieu de celle-ci lui accordait la victoire. Il l’obtient. Clotilde, princesse burgonde, est catholique. À Noël 496 (ou à Pâques d’une année qui suit, ou encore quelques années plus tard, nul ne sait exactement, mais peu importe, le tout est qu’aux âmes pieuses le symbole soit fort), Clovis tient sa promesse. Remi, évêque de Reims et futur saint, baptise celui qui n’est toujours qu’un petit roi barbare, et 3 000 guerriers avec lui, si l’on en croit ce que rapporte notre source principale sur l’événement, Grégoire de Tours, un autre évêque, qui réécrit au siècle suivant l’histoire des Francs. On n’ose imaginer ce que donnent 3 000 guerriers en aube de communiant chantant des cantiques. La pratique était courante et Grégoire n’en dit pas plus.
En 507, enfin, le roi bat les Wisigoths à Vouillé, près de Poitiers. Ils doivent abandonner leur belle capitale de Toulouse et sont chassés vers l’Espagne, leur nouveau territoire.
En 511, à sa mort, sur notre carte de Gaule, à l’exception du littoral méditerranéen et du royaume des Burgondes (auxquels il est allié par sa femme), tout est à lui. Clovis lègue à ses fils un
immense royaume. Ils l’agrandiront un peu, et pourront bien vite commencer à le dépecer, et à le morceler lors des incessantes guerres fratricides qui accompagnent chaque succession. Chez les Francs, un royaume ne constitue pas un État mais un patrimoine, qu’on se dispute entre frères comme une vieille maison de famille. Ce sera l’histoire constante et la malédiction de cette nouvelle dynastie qui vient de se former et prend le nom de Mérovée, l’ancêtre réel ou légendaire de Clovis (on ne sait exactement) : les Mérovingiens.
En abandonnant ses dieux anciens à la porte de l’église de Reims – « dépose tes colliers, fier Sicambre », lui aurait dit l’évêque –, le Franc a légué également à notre histoire ce mythe avec lequel on n’en a donc toujours pas fini : le « baptême de la France ». Il faudra du temps pour qu’il se constitue et, comme c’est toujours le cas pour des faits perdus dans la nuit du passé, la légende ne cesse, au long des siècles, d’être embellie de fleurs nouvelles. Au ix e siècle, quatre cents ans après les faits supposés, Hincmar, un autre évêque de Reims, se souvient soudain d’un détail que, bizarrement, nul n’avait mentionné auparavant. Lors du baptême, Dieu lui-même, par le ministère d’une colombe, a envoyé à saint Remi une petite fiole contenant l’huile sacrée avec laquelle il a pu oindre le front du glorieux catéchumène : la sainte ampoule. Une star de la vie monarchique française est née. On ressortira la précieuse bouteille et son huile lors du sacre de presque tous les Capétiens. Car ce sont bien eux, en effet, sans rapport dynastique direct
Weitere Kostenlose Bücher