Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
personnage, on vient de le voir, mais personne ne remettait en cause qu’il fut bien de chez nous, ce petit roi franc était un vrai roi de France, c’était indiscutable. En pleine élaboration d’une identité nationale qui était censée prendre ses racines dans la profondeur des siècles, l’événement permettait de mitonner ces petites soupes nationalisto-ethnologiques dont on était friand à l’époque. On ne cachait pas les origines germaniques de Clovis, au contraire. En montrant ce Germain dominant la Gaule – c’est-à-dire « nos ancêtres » – puis se convertissant, on pouvait fantasmer notre pays comme le creuset de la « vieille souche gauloise », de la « force germanique », et de la douce pureté évangélique. Fier et joyeux comme un Gaulois, civilisé comme un Romain, fort comme un Barbare, et affiné par le baptême, c’est ainsi que l’on rêvait le Français, cet être forcément unique. Admettons le principe de ces tranches napolitaines. Dans bien des domaines, il est indéniable que le haut Moyen Âge s’est constitué peu à peu grâce à tous ces apports successifs. Répétons ce que nous écrivions pour les Gaulois : en quoi cela concerne-t-il notre seul pays ?
L’Espagne, l’Angleterre, ont connu tour à tour les Celtes, puis les Romains, puis la christianisation, puis la domination des rois germaniques. Allons plus loin. Franchissons le détroit de Gibraltar pour suivre d’autres Barbares germaniques des v e et vi e siècles : les Vandales. Chassés d’Espagne par les Wisigoths, ils vont s’installer dans une des plus riches provinces de l’Empire romain, l’ancien domaine de Carthage, c’est-à-dire grosso modo l’actuelle Tunisie. Si l’on joue au jeu des cousinages historiques, on doit donc l’admettre : à ce moment de l’histoire, la Tunisie, ancienne province romaine, christianisée en même temps que Rome, puis devenue un royaume germanique (dirigé par des chrétiens ariens), est une proche parente de la Gaule, et surtout de l’Italie, ancienne province romaine chrétienne devenue un royaume aux mains d’Ostrogoths (également ariens). Tandis que la Scandinavie, d’où sortirent, des siècles plus tôt, les mêmes Vandales, est étrangère à cette histoire. Elle ne fut jamais colonisée par Rome.
Tout cela, protestera-t-on, nous éloigne de nos Mérovingiens. Revenons-y. Ils sont considérés par la plupart des Français comme la première dynastie française. Patrick Geary, grand historien américain du haut Moyen Âge 2 européen, nous le rappelle : pour les historiens allemands du xix e siècle, les Mérovingiens étaient de façon tout aussi évidente des rois allemands. L’opinion n’a rien d’illégitime : les fils de Mérovée étaient germaniques – avant de vaincre les Wisigoths du royaume de Toulouse, Clovis avait vaincu les Alamans et assuré son pouvoir sur les Francs Ripuaires, qui régnaient pour partie sur ce qui est aujourd’hui l’Allemagne.
N’oublions tout de même pas que Clovis, s’exclameront alors les patriotes, a été baptisé à Reims et enterré à Paris, dont il avait fait sa capitale ! D’accord, mais il est né à Tournai. Il serait donc raisonnable aujourd’hui de mettre tout le monde d’accord en revenant à une vérité trop souvent ignorée : Clovis n’est ni allemand ni français, il est belge.
1 Les Héros de l’histoire de France , Privat, 2001.
2 Quand les nations refont l’histoire , Aubier, 2004.
4
Charles Martel
et les Arabes
Nous voilà au début du viii e siècle. Le puissant royaume laissé par Clovis est loin. Ses descendants, à force de querelles, de guerres, de meurtres, de tortures, d’empoisonnements entre frères et sœurs, fils et cousins, en ont dilapidé l’héritage. Parmi ces innombrables Mérovingiens, les historiens ne retiennent qu’un grand nom : Dagobert (né vers 600, mort vers 638). Voilà encore quelqu’un qui n’est guère servi par la postérité. Ce pauvre « bon roi », dont tous les enfants des écoles continuent à se moquer en chanson parce qu’il a mis « sa culotte à l’envers », méritait mieux. Énergique, autoritaire et efficace, il est un des seuls au cours de ces deux siècles qui ait réussi à remettre le vieux royaume franc à l’endroit. Ses successeurs laissent peu à peu le pouvoir filer entre leurs doigts, ils sont restés dans l’histoire sous le sobriquet qu’ont inventé leurs successeurs pour les
Weitere Kostenlose Bücher