Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
Seulement, au cours d’un de ces étonnants conciles des débuts de l’Église où l’on débattait des vérités divines à coups de votes plus ou moins truqués, dans des ambiances surréalistes de congrès radicaux-socialistes d’avant guerre, l’arianisme fut décrété « hérétique », mot terrible. Malheur désormais à ceux qui le soutenaient, gloire à ceux qui le combattaient. C’est la loi de toutes les chapelles, elles ne haïssent rien tant que les chapelles les plus proches d’elles.
À l’époque des Grandes Invasions, ceux qui habitent la Gaule, et surtout les élites, l’épiscopat, la vieille aristocratie, fidèles à l’orthodoxie défendue par Rome, détestent les nouveaux maîtres, des hérétiques qui sont donc, pour eux, pires encore que des païens. En se convertissant au catholicisme, Clovis fit plaisir à sa sainte femme, comme on le raconte dans les bons livres, mais il réussit surtout à s’assurer une carte maîtresse qui explique sa victoire si rapide contre les puissants Wisigoths et leurs frères pécheurs : l’appui essentiel des évêques – qui représentaient la dernière ossature administrative des pays conquis – et des soutiens diplomatiques. Celui du pape, pauvre pontife de Rome qui n’avait guère de pouvoir, mais surtout celui, plus distant encore mais non négligeable, de l’empereur romain de Constantinople, trop content de voir ce si gros morceau de l’Europe occidentale enfin tombé du bon côté du catéchisme. Remettons donc les choses à l’endroit : le miracle pour Clovis ne fut pas d’être le premier païen à être éclairé par les lumières célestes, mais au contraire d’être le dernier de la liste, pour pouvoir choisir, parmi plusieurs, la vérité la plus efficace.
À dire vrai, en mettant ainsi notre pauvre vieux Franc sur le gril du scepticisme, je n’innove en rien. Tous les grands historiens républicains l’ont fait depuis longtemps. Pour eux, qui n’aimaient guère les rois et se méfiaient de la religion, cette histoire de « baptême » de leur beau pays était une scène primitive trop embarrassante pour ne pas chercher à la torpiller d’une manière ou d’une autre.
Il paraît qu’au début du xx e siècle, un éditeur facétieux ou étourdi, pour raconter la conversion du païen à la suite de la bataille de Tolbiac, avait osé dans un manuel d’histoire un passage à la ligne redoutable, qui faisait qu’on y lisait cette phrase : « Et Clovis embrassa le cul-te de sa femme. »
Je n’ai jamais vu ce fameux manuel, et j’ignore s’il a existé, mais je me souviens bien qu’à l’école, au tournant des années 1960 et 1970, on ne passait pas une année sans qu’en douce, sur le ton de la confidence amusée, un instituteur ne nous glisse l’anecdote. Je me demande maintenant si tout cela ne traduisait pas tout simplement cette gêne. La blague sur le fameux « cul-te » de Clotilde, c’était aussi une façon de tirer le tapis sous les pieds d’un personnage aussi lourdement chargé politiquement.
L’historien Christian Amalvi 1 explique très bien comment, sous la III e République, les manuels se tiraient la bourre sur cette affaire. La promesse de Tolbiac – « Dieu de Clotilde, si tu m’accordes la victoire, je me fais baptiser » – était, pour les catholiques, le signe indiscutable d’un choix de Dieu. Pour les républicains, elle prouvait le cynisme d’un opportuniste prêt à tout.
Parler de France au v e siècle n’a pas de sens
On peut encore aller un peu plus loin pour tenter de déminer cet encombrant mythe national. Dans l’expression le « baptême de la France », n’est-ce pas le mot « France » qui est le plus gênant ? Parler de France au v e siècle n’a pas de sens, l’idée ne commencera à apparaître que des siècles plus tard. Pourtant, dans la plupart des livres d’histoire grand public qui sont publiés encore aujourd’hui, dans la plupart des esprits, quoi qu’on pense de l’acte, la conversion de Clovis et son règne restent un bien national. Pourquoi ? En quoi l’histoire d’un chef barbare qui fit main basse sur la moitié de l’Europe occidentale nous appartiendrait en propre ?
Les rois de France ont tenté de capter cet héritage pour des raisons religieuses, on en a parlé. La III e République, en pleine période de fièvre nationaliste, chercha à le récupérer d’une autre manière. On pouvait alors contester le
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