Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
gauche, est d’accord, sinon peut-être quelques vagues exaltés d’extrême droite dont on se fiche : cette entreprise aura été un désastre ou du moins une parenthèse totalement inutile dans l’histoire du monde. Le médiéviste Jacques Le Goff eut l’idée heureuse, dans un de ses livres, de solder le bilan général de l’opération par une boutade : « Comme fruit possible ramené des croisades par les chrétiens, je ne vois que l’abricot. » Deux siècles pour des prunes, en quelque sorte.
Bilan léger, fantasme pesant
Sur un plan social, économique, artistique et même culinaire, le bilan des croisades est léger, c’est indéniable. Mais comme fantasme, leur souvenir est bien lourd. L’a-t-il toujours été ? Peut-être pas. Je ne suis pas certain qu’au xvi e ou au xvii e siècle, par exemple, quand les regards étaient plutôt tournés vers l’Ouest, on se préoccupât beaucoup de ces vieilles histoires de soleil et de sable. Mais aujourd’hui, dans notre univers post-11 Septembre, comme cela pèse ! Forcément, à une époque où tout le monde redoute le match espéré par tant d’extrémistes, ce fameux « choc des civilisations » qui finirait forcément par opposer le monde musulman et le monde occidental chrétien, on a tendance à se redemander souvent comment s’est passée la première manche. Alors, avant que vous ne tourniez la page, permettez-moi de glisser les remarques suivantes.
Qui étaient les fanatiques ?
Au cours des siècles, on a cherché, pour expliquer les croisades, toutes les causes possibles : on y a lu la tentative des papes d’établir enfin l’empire théocratique dont ils rêvaient, en muselant les rois qui leur tenaient tête, en fédérant enfin l’Occident sous leur bannière, tout en prenant le contrôle sur les communautés chrétiennes d’Orient qui jusqu’alors dépendaient de Byzance, la grande rivale de Rome. On y a trouvé des raisons sociales et économiques, la nécessité pour un Occident en trop-plein démographique dans ces siècles de prospérité de s’assurer de nouveaux débouchés et des terres où placer les fils de famille sans héritage. On a, pour expliquer les avancées et les échecs de ceux-ci et de ceux-là, les victoires et les défaites qui ont eu lieu à tel ou tel moment, invoqué toutes les faiblesses humaines, les rivalités, les jalousies, le goût de l’or, l’appât du pouvoir ou de la pompe. On a tout fait, en somme, pour chercher à ces deux siècles d’histoire des explications rationnelles. C’est louable et rassurant. Prenons garde toutefois à ne pas oublier ce qui en a été le levier principal : le fanatisme religieux.
Comment expliquer, sinon, tant d’épisodes qui nous semblent aujourd’hui proprement ahurissants ?
Lors de la première croisade, en 1096, ils sont 300 000 à quitter tout ce qu’ils ont, famille, champ et village, pour suivre des gens qu’ils n’ont jamais vus qui leur demandent de délivrer un endroit dont ils ne savent rien. Sitôt qu’ils aperçoivent les tours d’une ville de Rhénanie, ou des Balkans, les croisés hurlent : « Jérusalem ! Jérusalem ! », parce qu’ils se croient au terme du voyage. Ils n’y arriveront jamais. Seuls quelques milliers échappent au soleil du désert et au sabre des Turcs, et moins encore réussissent à se greffer à la croisade des chevaliers, celle de Godefroy de Bouillon, partie à leur suite. Les quelques survivants y deviendront les « tafurs » – on croit savoir que ce nom curieux dérive du patronyme de celui qui dirigeait leur bande. Cette appellation oubliée était connue de tous, à l’époque. Il suffisait de l’évoquer pour semer la terreur dans les deux camps. Apôtres du dénuement, armés de leur seul bâton mais d’une férocité, d’une folie devenues proverbiales, les tafurs se rendront célèbres, entre autres, en organisant des repas de cadavres d’infidèles.
La prise de Jérusalem de 1099, telle qu’elle est racontée à la fois par les musulmans et les chrétiens, restera dans l’histoire comme un bain de sang d’une ampleur inconcevable. « Il nous montait jusqu’aux chevilles », écriront les vainqueurs après avoir massacré dans des spasmes de haine tous ceux qui défendaient la ville où ils habitaient depuis des siècles, les musulmans, les Juifs, et ceux des chrétiens orientaux qui estimaient que leur place était de ce côté- là de la muraille. Le monde a connu
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