Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
d’autres carnages. Plus rare, plus stupéfiant, est ce qui le suit immédiatement : un moment de piété, d’absolu recueillement. Après avoir tué, tué, tué, les chevaliers et les soldats, couverts du sang qu’ils ont versé, se prosternent en silence devant le tombeau du Christ, l’âme en paix et le cœur en joie, car ils sont convaincus, avec cet holocauste barbare, d’avoir fait à leur Seigneur l’offrande qu’il espérait.
Cent ans plus tard encore, en 1212, lors de ce que l’on a appelé la croisade des pauvres et des enfants, ils sont à nouveau des milliers à quitter l’Allemagne, armés de rien, pour suivre un nouveau prédicateur halluciné. Cette fois ils coupent par les montagnes, se ruent en Italie et foncent vers la Méditerranée sans même chercher de ports ou de vaisseaux sur lesquels s’embarquer. Pourquoi donc ? Leur chef leur a dit que la mer allait s’ouvrir devant eux comme elle s’était ouverte devant Moïse fuyant l’Égypte, et ils le croient. La plupart mourront en Italie ou finiront en esclavage.
Que dire des pieux délires de Saint Louis, persuadé que les sultans d’Égypte ou de Tunisie allaient tomber à genoux et se convertir à la seule vue de la croix ?
Ne vous méprenez pas. Je ne tire de tout cela aucune conclusion sur la religion en général. L’histoire ne manque pas d’épisodes tout aussi fanatiques et parfaitement laïques. Le communisme – ce siècle d’obstination à refuser de voir l’horreur de la réalité au nom de l’angélisme des intentions – restera sans doute un des grands moments de délire de l’histoire du monde. La guerre de 14-18, ces millions de gens morts pour rien d’autre que la couleur de leur drapeau, en est un autre. Je ne tire non plus aucune généralité d’aucune sorte sur les catholiques en particulier : ils sont si nombreux, à tant de moments de l’histoire, à avoir su trouver dans leur croyance la force généreuse de l’héroïsme et de l’altruisme. Je remarque seulement qu’à notre époque, bien des gens sont persuadés que l’islam est la seule religion à être capable, par son essence même, de produire du fanatisme. Il n’est pas mauvais de leur rappeler qu’à ce jeu le christianisme a su montrer qu’il n’était pas dénué de talent.
Le choc des civilisations n’est pas forcément celui qu’on croit
Y aura-t-il dans l’avenir un « choc des civilisations » ? Qui le sait ? En tout cas, les croisades en produisirent un, aux xi e , xii e et xiii e siècles. C’est indéniable. La « guerre sainte », menée par les papes, a abouti à durcir les rapports de l’Europe chrétienne avec les musulmans et à les raidir pour des siècles. Longtemps, pour les chrétiens occidentaux, les musulmans resteront ces « infidèles » que l’on regrette de ne pas avoir battus. Longtemps, pour les musulmans du Proche-Orient, les chrétiens d’Europe laisseront le souvenir de ces barbares fanatisés qui, un jour, ont débarqué sur leurs terres.
Pour autant, cette rupture ne doit pas en masquer d’autres, que l’on a tendance à oublier, et qui pourtant sont tout aussi essentielles : les ruptures que les croisades vont creuser, au sein même des deux mondes, chrétien et musulman.
La sphère islamique est diverse. On l’a vu plus haut, elle est bousculée au xi e siècle par l’expansion des Turcs, les Seldjoukides, un peuple issu du Turkestan qui va constituer un empire dominant le Moyen et le Proche-Orient et soumettre les Arabes qui l’avaient conquis quelques siècles auparavant. Et, depuis la mort du Prophète et les déchirements sanglants entre ceux qui s’en prétendaient les seuls héritiers, elle est partagée aussi entre les deux grandes obédiences ennemies : le premier courant, majoritaire, est celui des sunnites, mais ils sont concurrencés au début de la période des croisades par une dynastie chiite, les puissants Fatimides, qui règnent sur l’Égypte.
Côté musulman, donc, le pouvoir est instable, la division règne, à coups d’assassinats, de trônes renversés, de trahisons dont sauront, à leur heure, profiter les chrétiens. Il faut attendre le xii e siècle et la poigne et la finesse d’un jeune Kurde, Saladin, pour faire l’unité qui mènera à la victoire.
Côté chrétien, il n’y en a aucune. Au nom du Christ, deux mondes s’opposent depuis des siècles, les deux branches de l’Empire romain que l’histoire a séparées à
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