Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
aux enfants des écoles : le culte des grands hommes. Sur un plan pédagogique, il a ses vertus. J’avoue que, si j’étais instituteur, pour faire comprendre à mes élèves la richesse et la complexité de notre Moyen Âge, je ne manquerais certainement pas d’évoquer la vie d’un personnage remarquable et trop peu connu de nos contemporains : le rabbin Salomon, fils d’Isaac, « Rabbi Shlomo Its’haqi », celui que par tradition on ne désigne qu’en contractant ce nom. Cela donne Rachi.
Notre homme (né en 1039 ou 1040 et mort en 1104 ou 1105) vécut dans la belle ville de Troyes, célèbre pour ses foires commerciales et située en Champagne. Comme tous les Champenois, il parlait un dialecte français. C’est en partie dans cette langue qu’il écrivit une œuvre considérable, des commentaires irremplaçables visant à expliquer, à mieux comprendre, un des grands livres de sa religion, le Talmud. Par ailleurs – la littérature, aujourd’hui comme hier, a du mal à nourrir son homme –, il avait un métier très lié à sa Champagne natale : il vivait du produit de ses vignes. Oui, si j’étais instituteur, je serais content et fier d’apprendre à mes petits élèves que près de mille ans avant leur naissance, on pouvait croiser à Troyes, en Champagne, un grand écrivain de langue française, juif et vigneron.
Repères
– 797 : Isaac le Juif envoyé par Charlemagne auprès d’Haroun al-Rachid
– v. 1040-1104 : vie et mort de Rachi
– 1215 : quatrième concile de Latran, intensification de la lutte contre les hérésies et mesures de ségrégation contre les Juifs
– 1348-1349 : Grande Peste ; massacre de nombreux Juifs, accusés d’avoir empoisonné les puits
– 1394 : expulsion des Juifs du royaume de France
Pendant longtemps, dans les livres d’histoire de notre pays, des Juifs, on ne parlait pas. Ou plutôt, on finissait par en parler lorsqu’ils apparaissaient miraculeusement et fort tard, avec l’affaire Dreyfus. Il fallait attendre les malheurs du pauvre capitaine accusé à tort d’avoir trahi son pays pour découvrir une réalité presque jamais évoquée dans le reste des manuels : il y avait donc des Juifs en France. Depuis quelques décennies, on a voulu remédier à cet oubli, et on a commencé à parler des Juifs au Moyen Âge sous un autre angle : celui de leur persécution.
Il y a de quoi dire, en effet. L’antijudaïsme est une réalité de la chrétienté médiévale. Un spécialiste du haut Moyen Âge comme Bruno Dumézil fait remonter à Dagobert une première grande tentative d’en finir avec ceux qui étaient alors les derniers non chrétiens de la Gaule mérovingienne, en les forçant à la conversion. De son côté des Alpes, le roi des Lombards, écrit l’historien, les força à choisir « entre le glaive et l’eau du baptême » et le roi des Wisigoths d’Espagne chercha à les réduire en esclavage. Triste période.
D’autres, pires encore, suivront. On a parlé, déjà, des violences terribles commises contre les Juifs en 1095, partout où ont déboulé ces foules fanatisées qui partaient à la première croisade. Délire eschatologique qui faisait croire que la mort des « perfides » hâterait le retour tant attendu du Messie ? Ou folie de troupes tellement désireuses d’en finir avec les « infidèles » qu’elles se firent la main sur les premiers infortunés rencontrés en chemin ? On discute toujours entre spécialistes pour connaître les raisons profondes de cette hystérie collective. On est sûr que des milliers de gens en furent les victimes, les Juifs de Rouen et surtout ceux de la vallée du Rhin, de Cologne, de Mayence.
Bientôt, on impute aux fils d’Israël des forfaits imaginaires que toute l’Europe chrétienne tiendra pour aussi vrais que la résurrection du Seigneur et le bleu de la robe de la Sainte Vierge : ce sont les accusations de « crimes rituels », ces rapts d’enfants dont les Juifs se rendraient coupables aux alentours de Pâques pour leur faire subir mille tortures, comme « ils » en ont fait subir au Christ, et peut-être même les manger. La première accusation est attestée à Norwich, en Angleterre, vers 1150, et concerne l’enlèvement d’un certain petit Guillaume. À Pontoise, un petit Richard aurait subi le même sort, les accusations sont identiques. On en retrouvera un peu partout.
Lors des massacres de 1095, les évêques souvent, les seigneurs parfois
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