Nostradamus
ses cheveux
d’argent, son visage est resté jeune. Sa physionomie est empreinte
d’une indicible dignité. Dans ses attitudes se révèle la sérénité
des âmes intrépides. Elle a fait asseoir Marie, et, d’une voix
douce :
– Dites-moi quelle peine vous oppresse.
Si je puis vous aider ou vous consoler, je le ferai de grand
cœur.
– Oui, murmure Marie, déjà votre voix me
calme et me berce. Voici donc le sujet de mes alarmes…
La jeune fille s’arrête. Et la
dame,
avec un sourire :
– Vous aimez, n’est-ce pas, et vous êtes
venue demander à la devineresse de vous dire s’il vous aime,
lui ?…
– Non ! répond Marie dans un cri. Je
sais qu’il m’aime. Je sais que je serai heureuse lorsque je serai à
lui. Ce n’est pas cela. C’est terrible, voyez-vous. Le nom que je
porte est maudit de tous. Celui que j’aime hait ce nom d’une haine
implacable. Et moi, si j’adore mon fiancé, j’aime mon père de tout
mon cœur. Et voici ma douleur. Si je dis à celui que j’aime,
demain, selon ma promesse, le nom de mon père, ne va-t-il pas
s’écarter de moi ?… Voilà ce que je veux savoir.
La dame considère avec pitié la jeune
fille :
– Vous aimez votre père ?
demande-t-elle.
– Plus on lui témoigne d’horreur, et plus
je tâche de lui faire oublier cette exécration qui l’enveloppe
d’une atmosphère mortelle…
– Avant tout, il faut me dire le nom de
votre père.
Marie rougit, hésite, puis, enfin, dans un
souffle, balbutie le nom – le nom maudit. Vivement la dame s’est
reculée. Elle a pâli. Mais peu à peu ses traits reprennent leur
expression de mélancolie.
– Non, murmure-t-elle. Il est impossible
que cette pure enfant soit une espionne envoyée pour me perdre. Mon
enfant, ajoute-t-elle, j’ai eu à souffrir de celui dont vous êtes
la fille. Un jour… je lui ai crié la malédiction qui montait de mon
cœur… Oui, c’est une chose affreuse que d’être sa fille. La mort
escorte cet homme. Mais Dieu vous envoie à moi, et, puisque vous
aimez votre père ; peut-être sera-t-il sauvé…
– Sauvé ? balbutie la jeune
fille.
– Oui, mon enfant. Mais, maintenant, il
faut que je sache le nom de celui que vous aimez.
– Tout à l’heure. Quel danger menace mon
père ?… Vous avez lu quelque chose d’effroyable dans son
avenir !…
– Eh bien ! oui, effroyable…
– Sauvez-le, râle Marie, subjuguée.
La dame demeure un moment pensive.
– Le sauver ? dit-elle enfin. Soit.
Dites-lui qu’il ne sorte pas de trois jours. Sinon il mourra.
Dites-lui, que, pendant ces trois jours, il faut qu’il se démette
de ses fonctions… Surtout qu’il ne se montre pas… il serait
déchiré, dépecé, mis en pièces…
Marie n’en entend pas davantage. Elle
s’élance. Oh ! tout de suite prévenir son père ! Elle
reviendra plus tard pour savoir ce qu’elle doit dire à
Renaud ! La dame n’a pas eu le temps de faire un geste pour la
retenir.
– Ce départ précipité… murmure la dame.
Cette fuite, plutôt… Une espionne ?… Qui sait ! Cet homme
est capable de ruse comme de violence. Oh ! il faut que demain
nous soyons partis !…
Marie a traversé la place de Grève. Elle
pénètre dans un magnifique hôtel. Elle s’avance, tremblante, vers
un cavalier de haute stature, de rude figure, qui met pied à terre
dans la cour.
– Ma fille ! gronde cet homme.
Pourquoi rentrez-vous si tard ? Pourquoi ce visage
bouleversé ?
– Mon père, bégaie la jeune fille, il
faut que je vous parle à l’instant ; il y va de votre
vie !
– Ma vie, ricana le seigneur. Elle est
bien défendue. Mais soit ; allez m’attendre en ma chambre.
Et il hausse les épaules, tandis que Marie
s’éloigne.
– Ma vie, reprend-il alors sourdement.
Oui. Tout ce peuple m’exècre… Mais je serai le plus fort.
Il fait quelques pas, s’arrête, et, avec un
frisson :
– Cette femme m’a maudit. Elle m’a prédit
que je serais déchiré, dépecé comme le cerf de la meute… Oh !
retrouver cette femme !… Gardes ! qu’on double les
sentinelles !…
Et le seigneur se dirige vers sa chambre.
Ce seigneur, c’est l’homme au nom
maudit ; Marie, c’est la fille du baron Gerfaut, seigneur de
Croixmart !…
En entrant dans sa chambre, Gerfaut a vu sa
fille agenouillée sur un prie-Dieu. Une minute, il la contemple, et
murmure :
– Que deviendrait-elle, si j’étais
tué ?… Cette femme m’a crié que je
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