Nostradamus
continua :
– Selon les ordres de monseigneur,
j’étais à dix pas derrière elle. Cette femme, donc, allait entrer
dans la rue de la Hache, lorsqu’un gentilhomme l’a frappée d’un
coup de poignard au cœur, en disant : « Au moins, tu ne
seras à personne !… »
– Et qui était ce gentilhomme ?
demanda Roncherolles.
– Je l’ai reconnu à la lune. Mais
j’aimerais mieux donner ma tête au bourreau que de révéler un
pareil secret.
– C’était mon frère ! rugit Henri en
lui-même.
– C’est bon, dit Roncherolles. Garde le
cadavre chez toi. Demain, tu l’enterreras aux Innocents.
*
*
*
Quinze jours après eut lieu le départ du roi,
de ses deux fils et de toute l’armée pour la Provence. Henri ne
voulut pas aller voir le cadavre de Marie. Seulement, deux jours
après les événements que nous venons de raconter, il alla trouver
Gilles et se fit conduire jusqu’au cimetière des Innocents où il
dit :
– Montre-moi la place où elle est
enterrée.
Le geôlier le conduisit à un endroit où la
terre était fraîchement remuée. Puis il se retira. Le fossoyeur du
cimetière a raconté, par la suite, que le prince Henri était resté
là jusqu’à la nuit noire, à sangloter et crier. Pendant les
quelques jours qui précédèrent le départ, Henri fit faire, à
l’endroit où le geôlier avait assuré qu’était enterrée Marie, une
chapelle surmontée d’une croix. Sur la porte, par ses ordres, on
avait gravé ces mots :
ICI REPOSE MARIE
PUISSE-T-ELLE, DU HAUT DES CIEUX,
PARDONNER À CEUX QUI L’ONT TUÉE.
Les vivants se chargent de la venger.
Henri s’enquit du fils de Marie. Quand il
interrogea le Brabant, celui-ci lui répondit
tranquillement :
– Le diablotin a été rejoindre son père,
Satanas !
La nouvelle ne produisit qu’une médiocre
impression sur l’esprit du prince. Marie était morte : peu
importait que son enfant le fût également.
Lorsque l’armée, enfin, sortit de Paris,
Henri, placé à son rang derrière son frère le dauphin, lui jeta un
regard étrange. Et en lui-même, il murmura furieusement :
– Les vivants se chargent de la
venger !…
Sa jeune femme, Catherine de Médicis, qui
chevauchait près de lui, surprit ce regard de haine mortelle… Son
charmant visage, un instant, s’éclaira d’un livide sourire.
– Oh ! gronda-t-elle en elle-même,
est-ce que je tiendrais le moyen de faire de mon époux le dauphin
de France ! C’est-à-dire le successeur de
François I er et ma royauté assurée !…
IV – BRABANT-LE-BRABANÇON
C’était donc un de ces hommes de sac et de
corde qui se vendaient, corps et âme, au plus offrant et dernier
enchérisseur. Il avait fait les dernières campagnes de
François I er , où il avait reçu et rendu force
horions. Il s’était attaché à la fortune du prince Henri, qu’il
méprisait
in petto,
mais qui payait ses services sans
marchander.
Voilà l’homme qui avait accepté la mission de
remettre l’enfant de Marie au bourreau chargé de l’exécuter.
Au moment où, dans le cachot du Temple, Marie
tomba sans connaissance, Henri remit l’enfant au bravo. On a vu
quels furent ses ordres. Brabant sortit du Temple et emporta
l’enfant jusqu’en son logis situé rue Calandre – sorte de galetas
misérablement meublé, mais orné d’une collection de poignards,
épées, rapières, estramaçons, lances, dagues, sans compter deux ou
trois arquebuses. L’enfant criait, Brabant le déposa sur sa
paillasse en grognant :
– Là, rejeton de Satan, la paix !
Quel gosier, quels cris ! Taisez-vous, ou je prends de l’eau
bénite !
Cette menace n’ayant produit aucun effet,
Brabant esquissa trois signes de croix, persuadé que l’enfant
allait tomber en pâmoison.
Mais l’entêté n’en cria que de plus
belle : il avait faim.
– Ouais ! fit le brave. Je le
gratifie de trois signes de croix et il ne se tait pas. Si je
savais quelque prière, je la dirais…
Là-dessus, il se mit à se promener
furieusement à travers le galetas, mâchonnant force jurons et se
bouchant les oreilles. Puis, il saisit dans ses bras le diablotin.
L’enfant ne criait presque plus, il râlait ; lorsque le reître
l’empoigna, le pauvre petit se tut soudain et avança ses lèvres
avec le mouvement de téter. Alors, voyant cela, le bravo tomba dans
une profonde rêverie. Le spadassin habitué aux mauvais coups sentit
il ne savait quoi de très doux le pénétrer : c’était
Weitere Kostenlose Bücher